BREAKING NEWS #7

L’Autorité des Marchés Financiers retouche pour la deuxième fois de l’année sa « doctrine » relative aux prestataires de services sur actifs numériques (PSAN)

Le 21 décembre dernier, l’AMF a mis à jour, en la renforçant, sa « doctrine » relative aux PSAN, modifiant les termes de cette dernière pour la deuxième fois en 2022. En effet, l’AMF avait déjà actualisé, le 31 mai 2022, la doctrine qu’elle exprime à travers sa « Position-Recommandation DOC-2020-07 » et son « Instruction DOC-2019-23 ». Nous nous en étions fait l’écho dans notre « Breaking News #2 ».

Il s’agit de la troisième modification de sa doctrine depuis sa création le 22 septembre 2019, après celle du 7 juin 2021 et celle, donc, du 31 mai dernier. On rappellera que cette doctrine, qui prend la forme de questions-réponses, apporte des précisions sur les dispositions du Titre II relatif aux prestataires de services sur actifs numériques (art. 721-1 à 722-31) du Livre VII du Règlement général de l’AMF.

L’AMF a souhaité en cette fin d’année 2022 clarifier et renforcer sa doctrine sur deux terrains différents : celui de l’honorabilité et de la compétence des dirigeants et des premiers actionnaires des PSAN, d’une part ; celui de la communication promotionnelle des PSAN et de leurs relations avec les clients, d’autre part.

Avant d’aborder ces deux points principaux, il n’est pas inutile de souligner que l’AMF apporte une précision intéressante relative au régime des conseillers en investissements financiers (CIF), dont le statut peut se cumuler avec celui de PSAN, puisqu’elle précise qu’ils sont habilités à fournir des « services de conseil aux souscripteurs d’actifs numériques » (variété de « services sur actifs numérique » au sens de l’article L. 54-10-2, 5°, c du Code monétaire et financier) même sans être agréés PSAN (ce qui est le cas aujourd’hui de tous deux qui fournissent des services sur actifs numériques, aucun agrément n’ayant été décerné à ce jour par l’AMF). Cette fourniture de services s’inscrit en effet dans le cadre de leurs « autres activités de conseil en gestion de patrimoine ». Encore faut-il, souligne l’AMF, que les CIF concernés respectent l’ensemble des règles de bonne conduite qui leur sont applicables lorsqu’ils exercent ce type d’activités, règles qui sont définies à l’article L. 541-8-1 du Code monétaire et financier et déclinées au sein du Règlement général de l’AMF dans la Position-Recommandation DOC-2006-23. Ces points sont désormais exposés dans la question-réponse 2.2 modifiée de la doctrine.

Les recommandations nouvelles de l’AMF en matière d’honorabilité et de compétence des dirigeants et actionnaires des PSAN

A question nouvelle, nouvelle question. L’AMF ajoute en effet à sa doctrine une question 2.4, ainsi formulée : « Que recouvrent les notions d’honorabilité et de compétence des dirigeants et des détenteurs d’une part significative du capital, des droits de vote ou du contrôle des prestataires ? ». Et lui apporte une réponse à travers laquelle elle présente sa grille d’analyse en matière de vérification de l’honorabilité et de la compétence des dirigeants et détenteurs du contrôle d’un PSAN.

L’article L. 54-10-3 du Code monétaire et financier précise que, saisie d’une demande d’enregistrement à titre de PSAN, l’AMF doit vérifier si : 1° Les personnes qui en assurent la direction effective possèdent l’honorabilité et la compétence nécessaires à l’exercice de leurs fonctions ; 2° Les personnes physiques qui détiennent, directement ou indirectement, plus de 25 % du capital ou des droits de vote du prestataire, ou qui exercent, par tout autre moyen, un pouvoir de contrôle sur ce prestataire au sens de l’ article L. 233-3, I, 3° et 4° du Code de commerce, garantissent une gestion saine et prudente du prestataire et possèdent l’honorabilité et la compétence nécessaires.

La question-réponse 2.4 explicite l’approche adoptée par les services de l’AMF lorsqu’ils analysent la compétence et l’honorabilité des dirigeants et actionnaires significatifs des PSAN. Dans un but de cohérence, cette approche, est-il précisé, est analogue à celle présentée dans les orientations conjointes de l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) et de l’Autorité bancaire européenne (EBA) sur l’évaluation de l’aptitude des membres de l’organe de direction et des titulaires de postes clés. Schématiquement, ces orientations conjointes, applicables par mimétisme aux PSAN, donc, prévoient que :

(1) Les dirigeants doivent disposer d’une connaissance, d’une compétence et d’une expérience suffisantes, qui s’apprécient notamment à la lumière de leur formation et de l’expérience pratique et professionnelle qu’ils ont acquises dans le cadre des postes occupés antérieurement. Il est tenu compte, dans le cadre de cette appréciation, du niveau hiérarchique des postes occupés, de leur durée, de la nature et de la complexité de l’entreprise dans laquelle les fonctions étaient exercées, ainsi que de l’étendue des compétences, des pouvoirs de décision et des responsabilités assumés par les intéressés, comme des connaissances techniques acquises par eux et du nombre de subordonnés placés sous leur responsabilité.

(2) Les dirigeants doivent démontrer qu’ils sont capables de consacrer suffisamment de temps à l’exercice de leurs fonctions.

(3) Les dirigeants doivent couvrir, par une expertise suffisante, tous les domaines de connaissances requis pour l’exercice des activités d’un PSAN. Leurs compétences peuvent à cet égard être évaluées de manière collective, ce qui implique qu’en cas de perte de cette compétence collective liée au départ de l’un des dirigeants, le PSAN ait à la retrouver via le recrutement d’un nouveau dirigeant qui soit en mesure de combler la compétence perdue.

(4) Les dirigeants et détenteurs du contrôle sont réputés disposer d’une bonne réputation, être honnêtes et intègres dès lors que des raisons objectives et démontrables ne peuvent suggérer le contraire. L’appréciation de leur honorabilité repose sur un double critère. Objectif, d’abord : la conformité de leur conduite avec les lois et les réglementations applicables. Subjectif, ensuite : la prise en compte des faits de nature à impacter négativement la perception par le public et les acteurs du marché de leur honorabilité (comme cela peut être le cas de décisions judiciaires ou administratives déjà prononcées, ou d’un dépôt de plainte ou d’une procédure judiciaire en cours).

La question-réponse précise logiquement, à la lumière de l’exigence d’honorabilité et de compétence posée par l’article L. 54-10-5 du Code monétaire et financier, que ces solutions valent également pour la demande d’agrément, à ce jour toujours optionnelle.

La compétence a un coût qui doit être anticipé pour tout projet d’activité en qualité de PSAN
Ces exigences ne sont pas anodines. Dans le monde entrepreneurial, expérience et compétence ont un prix. Elles auront donc un coût pour toute start-up qui souhaite opérer en France dans le secteur des actifs numériques. Ce coût devra être correctement évalué en amont, et intégré aux levées de fonds préalables au dépôt d’un dossier d’enregistrement ou d’agrément auprès de l’AMF.

Enfin, en prolongement de ce qui précède, l’AMF précise dans une nouvelle question-réponse 3-7 spécifique à la procédure d’enregistrement et exprimée à la lumière de l’article L. 54-10-3, al. 5 du Code monétaire et financier, que doivent lui être déclarés :

  • toute modification dans la composition des dirigeants ou détenteurs du contrôle du PSAN,
  • tout évènement pouvant affecter leur honorabilité ou leur compétence,
  • toute évolution dans la structure du PSAN (fusion, scission, apport partiel d’actifs notamment),
  • tout événement qui aurait pour effet d’empêcher le PSAN de respecter les engagements pris ou les conditions posées lors de l’enregistrement.

L’Instruction DOC-2019-23 intitulée « Régime applicable aux prestataires de services sur actifs numériques » est modifiée pour ajuster les pièces demandées par l’AMF en matière d’honorabilité et de compétence des candidats à l’enregistrement PSAN.

Un « certificat » d’honorabilité et de compétence pour les dirigeants et actionnaires de PSAN

Les recommandations nouvelles de l’AMF en matière de communication promotionnelle des PSAN et de relations des PSAN avec leurs clients

L’AMF ajoute à sa doctrine un paragraphe 12 inédit, intitulé « Communication promotionnelle et relations avec les clients en lien avec les actifs numériques ». A titre liminaire, ce paragraphe nouveau précise que le PSAN (enregistré ou agréé) qui fournit des services à une clientèle résidant ou établie en France et composée au moins partiellement de consommateurs au sens de l’article liminaire (1°) du Code de la consommation, doit s’assurer du respect des exigences dudit code. En substance, donc, il doit s’assurer que « sa communication promotionnelle est précise et loyale et ne constitue pas une pratique commerciale trompeuse », ce qui implique en particulier que « l’information donnée au client sur les actifs numériques ne (crée) pas une confusion avec un autre bien ou service tels que les instruments financiers ou les services bancaires » (v. question-réponse 12.1).

Dans sa nouvelle question-réponse 12.1, l’AMF recommande de porter à la connaissance de la clientèle divers avertissements tournés vers les risques que présente tout investissement en actifs numériques, tels que : le caractère volatil des actifs numériques, le risque de perte en capital, le fait que les rendements passés ne sont pas un indicateur fiable des rendements futurs, les risques spécifiques à certains actifs numériques ou services, spécialement au regard de leur nature particulière et de leur complexité. Ces préconisations « fortement conseillées » par l’AMF restent d’actualité lorsque le PSAN fait le choix de déléguer à un tiers le soin de réaliser sa communication promotionnelle.

En application des dispositions des articles L. 222-16-1 et 2 du Code de la consommation relatifs aux contrats conclus à distance portant sur des services financiers, l’AMF distingue PSAN enregistrés et PSAN agréés à un double point de vue.

Elle précise d’abord que le démarchage publicitaire actif et individualisé réalisé dans ce cadre par voie électronique est interdit pour les premiers, mais autorisés pour les seconds.

Ainsi, seuls les PSAN agréés peuvent procéder à la diffusion par voie électronique de toute publicité, directe ou indirecte, ayant pour objet d’inviter une personne, par le biais d’un formulaire de réponse ou de contact, à demander ou à fournir des informations complémentaires, ou à établir une relation avec l’annonceur, en vue d’obtenir son accord pour la réalisation d’une opération relative à la fourniture de services sur actifs numériques au sens de l’article L. 54-10-2 du Code monétaire et financier (question-réponse 12.2).

Publicité et démarchage en matière de contrats à distance sur services financiers

Elle précise ensuite que les opérations de parrainage ou de mécénat en lien avec des services sur actifs numériques sont interdits pour les parrains ou mécènes enregistrés PSAN, mais autorisées pour ceux qui sont agréés PSAN (question-réponse 12.3).

Enfin, l’AMF précise que les PSAN enregistrés, dont la clientèle est partiellement constituée de consommateurs, doivent en substance communiquer aux clients, dès la conclusion du contrat, les coordonnées d’un médiateur compétent et, en cas de réclamation préalable introduite auprès de leurs services, leur rappeler ces coordonnées en cas d’échec d’une tentative de règlement amiable du litige (question-réponse 12.4).

Elle rappelle en outre dans cette même question-réponse que les PSAN agréés doivent établir, mettre en œuvre et maintenir opérationnelle une politique de gestion des réclamations, et que l’Instruction AMF DOC-2012-07 « Traitement des réclamations » leur est applicable. Elle recommande du reste aux PSAN enregistrés la mise en place d’un système de traitement de réclamations conforme à cette même Instruction.

L’enregistrement et l’agrément PSAN se méritent plus que jamais

A la suite de la précédente mise à jour de la doctrine de l’AMF du 31 mai 2022, nous concluions notre « Breaking News #2 » en indiquant, à la lumière de l’effondrement de l’UST et de son cortège d’effets délétères (on pense notamment aux défaillances de Celsius, Voyager, 3AC, etc.), qu’il n’était pas besoin d’être devin pour prédire que de prochaines mises à jour de la doctrine de l’AMF feraient parler d’elles dans un futur relativement proche. Nous ne serons donc pas surpris par le présent renforcement de sa doctrine, spécialement à la suite du « big wreck » de FTX et de son cortège de nouvelles défaillances (on pense cette fois-ci à Genesis Global Capital, BlockFI, etc.), d’une part, et à l’approche des super-régulations européennes (« MiCA », « TFR », « AMLR », « DAC »), d’autre part. L’AMF n’en a pas fini d’être en alerte.

BREAKING NEWS #6

Semaine d’ébullition au sein de l’UE : imposition des crypto-actifs et règlement MiCA à l’honneur !

4 octobre 2022 : résolution du Parlement européen sur la fiscalité des crypto-actifs

Les députés européens ont adopté le 4 octobre dernier une résolution non contraignante appelant à une meilleure utilisation de la blockchain pour lutter contre l’évasion fiscale et à une coordination des États membres sur la taxation des actifs cryptographiques.

  • La lutte contre l’évasion fiscale

La résolution précise que les actifs cryptographiques, ou crypto-actifs, doivent être soumis à une fiscalité juste, transparente et efficace, tout en invitant à un traitement fiscal simplifié pour les commerçants occasionnels ou de petite taille, et les petites transactions.

A cette fin, la Commission est appelée à évaluer les manières dont les différents États membres taxent les actifs cryptographiques et à identifier les différentes politiques nationales en matière de lutte contre l’évasion fiscale dans le domaine des crypto-actifs.

Les députés appellent également à une définition claire et largement acceptée des actifs cryptographiques (à ce point de vue, ils devraient être exaucés avec les distinctions opérées par le règlement MiCA).

Une règlementation européenne sur la fiscalité des crypto-actifs en vue

Point important, ils suggèrent de prendre en compte, après évaluation, la conversion d’un crypto-actif en monnaie fiduciaire comme fait générateur de l’imposition (« taxable event »), et soulignent la nécessité de déterminer le lieu de l’événement imposable s’agissant des échanges d’actifs cryptographiques transfrontaliers.

  • La blockchain pour optimiser l’efficacité fiscale

La résolution identifie la blockchain comme l’un des instruments disponibles pour faciliter une collecte efficace des impôts, dès lors que ses caractéristiques uniques pourraient offrir une nouvelle façon d’automatiser la collecte des impôts, limiter la corruption et assurer une meilleure identification de la propriété des actifs corporels et incorporels permettant de mieux taxer les contribuables mobiles (« mobile taxpayers »).

Les députés invitent également à identifier les meilleures pratiques d’utilisation de la technologie – celle des blockchains en particulier – pour améliorer la capacité d’analyse des administrations fiscales, et appellent la Commission à mieux intégrer l’utilisation de la blockchain dans les différents forums et programmes traitant de la fiscalité.

La blockchain comme instrument fiscal de taxation … des transactions sur la blockchain ?

La blockchain tend à devenir un lieu commun de la politique fiscale, en somme, signe de sa démocratisation, de sa normalisation et de son omniprésence …

5 octobre 2022 : adoption du règlement MiCA par le Conseil européen

Le Comité des représentants permanents du Conseil européen a approuvé, 5 octobre dernier, le texte de compromis final en vue d’un accord définitif des autorités européennes pour l’adoption du règlement MiCA (« Market in Crypto-Assets »).

Cette décision fait suite à l’accord provisoire qui avait été entériné par le Conseil européen et le Parlement européen le 30 juin dernier, sur lequel nous nous étions déjà arrêtés dans notre Breaking News #5.

La balle est donc désormais dans le camp du Parlement européen, qui se prononcera en principe, à travers sa Commission des affaires économiques et monétaires, dès la semaine prochaine.

Dans quelques jours, donc, c’est un texte de plus de 375 pages qui sera définitivement adopté. De quoi effrayer aussi bien l’analyste que l’écosystème.

Le règlement MiCA en passe d’être définitivement adopté

Mais soyons objectifs : il n’est pas si incongru que cela de voir les autorités régulatrices frapper fort d’entrée, compte tenu des inconnues nombreuses qui entourent les crypto-technologies et des krachs-hacks-scandales récents que connaît le marché des crypto-monnaies. On peut d’ores et déjà se rassurer en pariant que lorsque les autorités européennes et nationales auront pris l’entière mesure de ce nouveau marché régulé, des assouplissements, parfois importants, interviendront. Les excès de la réglementation actuelle ne sont finalement qu’à la mesure des interrogations, incertitudes et interrogations qui jalonnent la réflexion actuelle des législateurs.

Quoi qu’il en soit, nous avons jusqu’au début de l’année 2024, date prévue de prise d’effet du règlement MiCA, pour nous pencher sur la portée de cette nouvelle réglementation.

L’emprise progressive de l’Union européenne sur la crypto-économie est actée

BREAKING NEWS #5

Conseil et Parlement européens adoptent un accord provisoire en vue de l’adoption définitive du règlement MiCA !

Cet accord provisoire entériné par le Conseil européen et le Parlement européen le 30 juin dernier s’inscrit dans le cadre du travail législatif qui prolonge la Proposition de règlement « sur les marchés de crypto-actifs » (dit « MiCA » pour « Markets in crypto-assets ») publiée par la Commission européenne le 24 septembre 2020.

Il accompagne l’accord provisoire conclu le 29 juin précédent entre le Conseil et le Parlement relatif à la refonte du règlement « Transfert de fonds » (« TFR »), qui concerne plus spécifiquement la question de la lutte contre blanchiment d’argent et le financement du terrorisme à l’occasion des transferts de crypto-actifs. C’était l’objet de notre Breaking News #4.

Bref rappel au sujet de « MiCA »

Ainsi qu’il a été vu dans notre article « Régulation – Règlement MiCA #1 : l’Europe à l’heure des enjeux de la crypto-finance », les autorités européennes entendent, à travers ce futur règlement, proposer un cadre juridique rassemblant les crypto-actifs non couverts par la législation existante sur les services financiers, les émetteurs de crypto-actifs et les prestataires de services sur crypto-actifs, et conciliant des objectifs partiellement hétérogènes :

d’un côté, soutenir l’innovation et le développement de la technologie des registres distribués (DLT), assurer la promotion du développement des crypto-actifs, et renforcer le potentiel offert par la finance numérique décentralisée (DeFi) sur le plan de l’innovation et de la concurrence ;

de l’autre, limiter les risques à l’égard des consommateurs et investisseurs, notamment du fait de la fraude, des cyberattaques, des manipulations de marché ou des atteintes à la stabilité financière ou monétaire que pourrait engendrer cette nouvelle économie numérique.

L’accord provisoire du 30 juin touche à des questions variées. Leur importance pour l’écosystème des crypto-technologies et pour les acteurs de la finance décentralisée invite à les exposer synthétiquement.

Une responsabilité des prestataires de services sur crypto-actifs affirmée

Partant du constat selon lequel les droits actuels des consommateurs sont très limités, notamment s’agissant des recours dont ils disposent, en particulier s’agissant des transactions réalisées en dehors de l’UE, l’accord provisoire précise que les nouvelles règles devront faire peser des exigences de protection fortes sur les prestataires de services sur crypto-actifs (les CASP, pour « crypto asset service providers »).

Ces derniers verront notamment leur responsabilité engagée en cas de perte de crypto-actifs appartenant aux investisseurs. Les prestataires semblent ainsi tenus d’une obligation de résultat qui frise même l’obligation de garantie : celle d’assurer l’intangibilité des actifs du client par devers toute défaillance opérationnelle (fait du prestataire), ainsi que toute opération de piratage et de hackage (fait du tiers). Ce faisant, le Conseil et le Parlement ouvrent très largement la porte aux futurs procès en responsabilité contractuelle.

Les conditions des futures actions en responsabilité sont précisées

Une responsabilité de tout opérateur sur le marché des crypto-actifs facilitée

L’accord provisoire annonce également que le règlement MiCA couvrira les cas d’abus de marché sur n’importe quel type de transaction ou de service, notamment en matière de manipulation de marché et de délit d’initié.

Un moyen de dire que la responsabilité de tout intervenant sur le marché des crypto-actifs pourra être engagée en pareilles circonstances.

Obligations déclaratives et exigences environnementales

L’accord provisoire prévoit que les acteurs du marché des crypto-actifs devront rendre publiques des informations permettant de préciser leur empreinte environnementale et climatique.

Le contenu, les méthodes et la présentation de ces informations seront définies par référence aux normes techniques et réglementaires que l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) élaborera pour tenir compte des principales incidences négatives que les différentes activités des acteurs du secteur peuvent avoir sur l’environnement et le climat.

La fin du suspens : l’absence d’interdiction de la « Proof of Work »

Inutile de rappeler le psychodrame qui avait agité la cryptosphère au cours du dernier trimestre de l’année 2021 et des premiers mois de l’année 2022, alors qu’il semblait que le Parlement européen s’engageait dans la voix de l’interdiction pure et simple des crypto-technologies reposant sur un système de validation par preuve de travail (PoW), condamnant ainsi sans autre forme de procès bitcoin et mineurs à quitter le navire européen.

La commission des affaires économiques et monétaires du Parlement avait heureusement fait retomber la pression à l’occasion du vote d’une résolution, le 14 mars 2022, écartant le principe de l’interdiction. Par ce vote, les parlementaires concernés, revenus à la raison, s’étaient contentés de demander à la Commission européenne de présenter aux députés, avant le 1er janvier 2025, « une proposition législative incluant dans le système de classification « dit taxonomie de l’UE pour les activités durables » toute activité de minage de crypto-actifs contribuant de façon substantielle au changement climatique ».

La prise en compte de critères environnementaux

C’est dans cette même veine que l’accord provisoire du 30 juin prévoit que la Commission européenne devra, dans les deux années à venir, fournir un rapport sur « l’impact environnemental des crypto-actifs et l’introduction de normes minimales de durabilité obligatoires concernant les mécanismes de consensus, notamment la preuve de travail ».

Avec les progrès réalisés ces dernières années sur un plan énergétique par les fermes de minage, la commercialisation et la production de bitcoins devraient avoir de beaux jours devant elles sur le continent de l’UE.

Il faut en tout état de cause reconnaître que l’interdiction pure et simple des protocoles fonctionnant sur la base d’un système de validation par preuve de travail aurait été totalement irraisonnée : outre le fait que de la preuve de travail conservera une utilité indéniable pour les applications qui requièrent une sécurité et une authentification absolues des opérations enregistrées sur la blockchain, des protocoles ingénieux, comme le projet de « Chainweb » de Kadena, sont aujourd’hui capables de proposer des systèmes qui, bien que reposant sur la « PoW », sont dotés d’une très haute scalabilité et se caractérisent, de ce fait, par une consommation énergétique faible. Leur interdiction de principe eût été incompréhensible.

Des stablecoins placés sous étroite surveillance

Conseil et Parlement font expressément référence aux « derniers événements sur les marchés des soi-disant « stablecoins » » pour rappeler les risques encourus par les investisseurs en l’absence de réglementation, tout comme « les impacts potentiels sur les autres crypto-actifs ».

C’est bien évidemment au « Terra » que les autorités européennes font allusion, le stablecoin algorythmique du protocole Luna, désigné sous l’acronyme « UST », à l’occasion de la crise de la deuxième semaine du mois de mai qui a conduit en quelques jours à peine à l’annihilation quasi complète de la valeur de l’un comme de l’autre de ces crypto-actifs, à la suite de la dé-collatéralisation (« de-peg ») du Terra par rapport à sa monnaie de référence, le dollar américain (sur cet épisode marquant pour la cryptosphère, v. par exemple Le Journal du coin). On sait également que le stablecoin algorythmique du protocole Tron, l’USDD, a dans la foulée suscité de réelles inquiétudes alors que des prémices de « de-peg » sont apparues au cours du mois de juin dernier, provoquant une baisse de l’altcoin Tron (TRX) (à ce sujet, v. par exemple cryptonaute.fr).

Des règles et ratios stricts pour les stablecoins

Aux termes de l’accord provisoire, Conseil et Parlement indiquent que le règlement MiCA exigera des émetteurs de stablecoins (qui devront obligatoirement être présents sur le territoire de l’UE), qu’ils constituent une réserve suffisamment liquide, avec un ratio de 1/1 et en partie sous forme de dépôts. Les stablecoins purement algorythmique seront en conséquence prohibés.

Il est également annoncé que les règles qui régiront le fonctionnement des réserves prévoiront également une « liquidité minimale adéquate » afin notamment que chaque détenteur de stablecoins puisse se faire rembourser « à tout moment et gratuitement » par l’émetteur.

L’accord prévoit en outre que tous les « stablecoins » seront supervisés par l’Autorité bancaire européenne (ABE).

Enfin, l’accord annonce la limitation du développement des jetons qui se réfèrent à un ou des actifs (les « asset-referenced tokens » ou « ART ») fondés sur une devise non européenne, utilisés en tant que moyen de paiement, dans le but de préserver la souveraineté monétaire européenne. Les émetteurs de ces jetons devront par ailleurs eux-aussi avoir leur siège au sein de l’UE afin de permettre une surveillance et un suivi appropriés des offres au public des jetons « ART ».

Les NFT exclus de la règlementation « MiCA »

L’accord provisoire précise que les jetons non fongibles (NFT), qui se distinguent des jetons « ART », seront exclus du champ d’application du règlement MiCA.

Présentés comme des « actifs numériques représentant des objets réels tels que des œuvres d’art, de la musique et des vidéos » (alors qu’ils offrent potentiellement bien d’autres figures, comme les tags de produits commerciaux, les droits de titularité de parcelles créées dans des métavers, les jetons issus de la tokenisation de certains biens immobiliers physiques, etc.), certains NFT pourraient néanmoins être soumis à la réglementation MiCA, indiquent le Conseil et le Parlement, dès lors qu’ils entreraient dans les catégories existantes de crypto-actifs (on pense ici aux NFT fractionnables).

La spécificité des NFT reconnue

Enfin, l’accord invite la Commission européenne, dans un délai de 18 mois, à préparer une évaluation complète et, si cela est jugé nécessaire, à évaluer la nécessité de proposer un régime réglementaire spécifique pour les NFT tout en pointant les risques que ce nouveau marché pourrait faire apparaître.

L’activité de prestataire de services sur crypto actifs soumise à autorisation

L’accord provisoire prévoit également que les prestataires de services sur crypto‑actifs (les CASP) auront besoin d’une autorisation pour exercer leurs activités au sein de l’UE. Cette autorisation sera délivrée dans chaque Etat membre par les autorités nationales dans un délai de trois mois à compter d’une demande conforme. En France, l’autorité en cause sera logiquement l’AMF.

L’accord introduit une distinction entre les CASP en visant spécifiquement « les plus grands prestataires de services sur crypto-actifs » (des critères et seuils devront donc être arrêtés pour les isoler des autres prestataires). Les autorités nationales, est-il indiqué, auront à transmettre régulièrement des informations pertinentes à l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) à leur sujet.

Un accord provisoire doté d’une simple valeur indicative

A ce stade, l’accord provisoire ne dispose d’aucune valeur normative. Il constitue en revanche une feuille de route claire qui alimentera le travail des instances européennes sur les aspects techniques et les dernières orientations du futur règlement, lequel devra in fine être soumis au vote du Parlement en séance plénière.

Bilan

Cet accord provisoire est plutôt encourageant. Il semble relativement équilibré alors que la période troublée que traverse actuellement l’écosystème des crypto-actifs aurait pu servir de prétexte aux autorités européennes pour durcir le ton. L’objectif reste le même : « soutenir l’innovation et l’adoption de nouvelles technologies financières tout en assurant un niveau approprié de protection des consommateurs et des investisseurs ». Or, le niveau de protection en question ne paraît avoir été monté d’un cran par rapport à l’étiage fixé par la Proposition de règlement du 24 septembre 2020.

Ainsi, l’interdiction des protocoles fondés sur la preuve de travail (PoW) n’est plus à l’ordre du jour. Le commerce et le minage de bitcoins pourront donc avoir lieu sur le territoire de l’Union européenne. La spécificité des NFT, qui est indéniable, est pour sa part reconnue et traitée comme telle.

Le compte à rebours est lancé en vue de l’adoption définitive du règlement MiCA

Encore faut-il demeurer prudent, car l’accord reste évasif et même muet sur certaines questions fondamentales. La DeFi et ses divers protocoles (lending, stacking, pools de liquidités, etc.) ne sont pour leur part pas évoqués dans le communiqué de presse du Conseil européen du 30 juin, ce qui semble confirmer l’idée initiale selon laquelle la finance décentralisée est placée hors du périmètre du règlement MiCA … qui a toutefois spécifiquement pour objet la « finance numérique ». L’ambiguïté des termes impressionne. Des clarifications devront être faites (v. par exemple l’analyse de l’accord publiée sur bitcoin.fr). On peut en toute hypothèse aisément imaginer qu’une réglementation ad’hoc portant sur la DeFI émergera, au plan européen ou au plan national.

En outre, le climat économique général, le cycle baissier actuel des crypto-monnaies, l’importance des moins-values enregistrées par de très nombreux investisseurs, les avatars et « scandales » qui ont émaillé le monde de la crypto-économie ces dernières semaines (Terra, Celsius, 3 Arrows Capital, BlockFi, etc.) peuvent toujours inviter les autorités européennes à réviser leurs lignes directrices. Le chemin est encore long jusqu’à la version définitive du règlement MiCA. Aussi l’écosystème des crypto-actifs a-t-il tout intérêt à se faire discret au cours des prochains mois et à se montrer en toutes circonstances sous son meilleur jour.

BREAKING NEWS #4

En vue de la refonte du règlement « TFR », Conseil et Parlement européens adoptent un accord provisoire relatif aux transferts de crypto-actifs dans l’UE !

Cet accord entériné par le Conseil européen et le Parlement européen le 29 juin dernier fait suite à la résolution votée le 31 mars 2022 par les députés composant la commission des affaires économiques et monétaires et la commission des libertés civiles et de la justice du Parlement, sur laquelle nous nous étions arrêtés dans notre Breaking News #1.

Cette résolution, rappelons-le, avait pour objectif de poser le principe d’un élargissement et d’une adaptation aux transferts de crypto-actifs des règles européennes relatives aux transferts de fonds. La volonté alors affichée à travers cette refonte annoncée de la réglementation était d’étendre à ces transferts de crypto-actifs un dispositif renforcé de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, et de stopper les flux illicites que ces transferts rendent possibles dans l’UE.

Le marché des crypto-actifs, royaume de la criminalité selon les autorités européennes

L’accord du 29 juin confirme la feuille de route du 31 mars : rendre plus difficile l’utilisation des crypto-actifs à des fins criminelles en imposant la transparence de leurs transferts. Différentes solutions techniques sont préconisées à cette fin par le Conseil et le Parlement.

Assurer la transparence des transferts de crypto-actifs

L’objectif de la future réglementation européenne, qui passera par la refonte du règlement UE 2015/847 sur les transferts de fonds, dit « TFR » pour « Transfer of Funds Regulation », est d’imposer aux prestataires de services sur crypto‑actifs (les CASP, pour « crypto asset service providers ») l’obligation de recueillir et de rendre accessibles certaines données relatives aux donneurs d’ordre pour lesquels ils interviennent et aux bénéficiaires des transferts de crypto‑actifs, à l’instar de ce qui est aujourd’hui imposé aux prestataires de services de paiement pour les virements électroniques. Cette obligation n’est pas moins destinée qu’à permettre de bloquer les transactions identifiées comme suspectes.

La fin programmée de l’anonymat des cryptophiles sur le continent de l’UE

En pratique, les prestataires devront vérifier, préalablement à la libération des crypto-actifs au profit des bénéficiaires, que la source de l’actif n’est pas sujette à des mesures restrictives ou à des sanctions, et qu’il n’existe pas de risque de blanchiment d’argent ou de financement du terrorisme.

L’extension de la « règle du voyage »

L’accord conclu entre les deux co-législateurs européens requiert notamment que l’ensemble des informations relatives aux initiateurs de l’opération réalisée via le prestataire de services « voyagent » avec le transfert de crypto‑actifs, et ce quel que soit le montant des crypto‑actifs faisant l’objet de la transaction, même si des règles particulières sont proposées pour les transferts de crypto‑actifs réalisés entre les prestataires et les portefeuilles non hébergés.

Il vise ainsi à étendre aux transferts de crypto-actifs la « règle du voyage » (ou « travel rule ») que l’on connaît déjà dans la finance traditionnelle. Selon cette règle, les informations sur la source de l’actif en cause et les bénéficiaires du transfert doivent accompagner la transaction, donc « voyager » avec elle, et être stockées aux deux extrémités du transfert. Schématiquement, ces informations sont le nom, l’adresse physique, la date de naissance, le numéro de compte et l’adresse du portefeuille du client donneur d’ordre, ainsi que le nom du destinataire.

La « règle du voyage » ou le transfert de nos données personnelles

Aussi, outre le fait qu’ils devront s’assurer que le transfert de crypto-actifs sera accompagné d’un identifiant unique de transaction, les prestataires de services sur crypto-actifs devront fournir ces renseignements à la demande des autorités compétentes dans le cadre des enquêtes menées pour blanchiment d’argent et financement du terrorisme.

Une limite heureuse est néanmoins posée, puisque le dispositif ne s’appliquera pas aux transferts de crypto-actifs « entre particuliers effectués sans l’intervention d’un prestataire », comme des plateformes d’échange de bitcoins est-il indiqué, ou « entre prestataires agissant de leur propre initiative ».

Et une garantie proclamée, puisqu’il est prévu que le « voyage » des informations n’aura pas lieu lorsque les données personnelles en cause ne se trouvent pas protégées au bout de la chaîne (ce qui vise principalement l’hypothèse dans laquelle les règles relatives au RGPD ne s’appliquent pas).

Une traçabilité du transfert dès le 1er euro pour les portefeuilles hébergés

Au motif avancé que les transactions de crypto-actifs pourraient facilement permettre de contourner les seuils existants permettant de déclencher les exigences de traçabilité, l’accord pose le principe de l’absence de seuil minimum. Aucune exception, donc, pour les transferts de faible montant, contrairement à ce qui avait été un temps envisagé avec sagesse. Le futur droit de l’Union entend donc interdire tout portefeuille hébergé anonyme !

Les portefeuilles hébergés et non hébergés sont soumis à un régime bien proche

Une exception plafonnée à 1.000 euros pour les portefeuilles non hébergés

Une dérogation presque symbolique est prévue pour les transferts de crypto‑actifs à partir ou à destination de portefeuilles non hébergés (les fameux « unhosted wallets », de type « cold wallets » notamment). Ce ne sera en effet que pour les montants supérieurs à 1.000 euros que les obligations précitées s’imposeront aux prestataires de services sur crypto-actifs.

Le registre privé des prestataires

Chaque prestataire de services devra tenir un registre répertoriant tous les transferts de crypto-actifs réalisés à partir de portefeuilles non hébergés, et notifier à l’autorité compétente tout client ayant reçu un montant de 1.000 euros ou plus à partir d’un tel portefeuille.

Un registre public pour les « mauvais élèves »

L’accord prévoit encore que l’Autorité bancaire européenne (ABE) devra tenir un registre public des prestataires de services de crypto-actifs non conformes. Sont visés les prestataires qui ne peuvent être liés à aucune juridiction reconnue, qui n’appliquent aucune mesure d’identification de leurs clients ou qui offrent des services d’anonymisation. Le but est de faciliter l’identification des acteurs illicites qui présentent un risque élevé du point de vue de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

C’est le futur règlement « MiCa » qui devrait fixer le principe et les modalités de création de ce registre.

Quid du champ d’application du futur dispositif ?

Il est prévu que le règlement s’appliquera aux transferts de fonds, quelle que soit la devise, ou au transfert de crypto-actifs, qui sont envoyés ou reçus par un prestataire de services de paiement, un prestataire de transferts de crypto-actifs ou un prestataire de services de paiement intermédiaire établi sur le territoire de l’Union.

Quid de la valeur normative de l’accord provisoire ?

A ce stade, il n’en a évidemment aucune. Il est désormais prévu que le Parlement, le Conseil et la Commission travaillent sur les aspects techniques du projet de texte. L’entrée en vigueur du texte final est subordonnée d’abord à son approbation par les commissions du Parlement en charge de ces sujets (à savoir la commission des affaires économiques monétaires, d’une part, et la commission des libertés civiles et de la justice, d’autre part), et ensuite à son adoption en séance plénière par le Parlement européen.

En complément

Le Conseil et le Parlement, convenant de l’urgence qu’il y a à assurer la traçabilité des transferts de crypto‑actifs, ont décidé d’aligner le calendrier d’application du futur règlement « TFR » sur le calendrier du règlement « MiCa ».

Pour davantage de précisions sur le contenu de l’accord adopté par les deux co-législateurs européens le 29 juin dernier, on consultera utilement la fiche de procédure correspondante éditée par le Parlement.

Bilan

Il se confirme à travers les termes de cet accord provisoire que les autorités européennes se situent davantage dans la défiance à l’égard des crypto-actifs et de leurs opérateurs que dans l’accompagnement raisonné de ce secteur émergeant, dynamique et prometteur, préférant un « sécuritarisme » à outrance à une vigilance raisonnée. Le co-rapporteur espagnol du Parlement n’écrit-il d’ailleurs pas que l’accord « introduit une « règle du voyage » pour les transferts de crypto-actifs parmi les plus ambitieuses au monde » ?! Le reste du monde s’en félicitera assurément.

Il est vrai que les périodes de « bear market » de ces derniers mois, doublées par les krachs et autres scandales très récents (Terra, Celsius, 3 Arrows Capital, BlockFi, etc.), ternissent l’image du secteur. Rien d’extraordinaire, toutefois, s’agissant d’un marché naissant, qui de surcroît s’auto-corrige rapidement de manière saine et vertueuse.

L’Europe accélère le tempo en vue de verrouiller le marché des crypto-actifs

Toujours est-il qu’à ce stade, on ne peut que craindre que face aux sévères entraves posées par les autorités européennes, la crypto-économie et l’écosystème qui l’entoure trouvent leur plein essor ailleurs qu’en Europe. Pour le plus grand bonheur des Etats-Unis notamment. Logiquement, la critique est communément partagée (v. par ex. bitcoin.fr ou cryptoast.fr).

BREAKING NEWS #3

Le futur ex-député Pierre Person dépose à l’Assemblée nationale un rapport sur la crypto-finance qui vient prolonger le rapport d’information sur les monnaies virtuelles déposé le 30 janvier 2019

Le 8 juin dernier, le député Pierre Person, qui a annoncé ne pas se représenter à la députation pour la prochaine législature, a déposé un rapport « personnel » qui vient clore, au moins provisoirement, l’inlassable travail de promotion des crypto-actifs et de l’écosystème des crypto-technologies qu’il a mené aussi bien au sein de l’hémicycle qu’hors les murs.

Son intitulé : « Monnaies, banques et finance : vers une nouvelle ère crypto. Un enjeu de souveraineté et de compétitivité économique, financière et monétaire ». Orienté en grande partie vers la finance décentralisée (DeFI), il se veut très largement prospectif.

Dans son avant-propos, le député rappelle la rapide et constante évolution du secteur des crypto-actifs, pour ne pas dire sa fulgurance, et souligne le chemin parcouru en quelques années à peine : « En 2018, personne n’aurait pu présager les évolutions d’un secteur qui ne laissait voir en surface que de simples promesses sur des projets bien souvent bancals, à travers notamment les ICO (Initial Coin Offering). Initialement qualifiés de crypto-monnaies puis de crypto-actifs pour mieux correspondre à leurs aspects polymorphes, les jetons, indissociables de la blockchain, sont aujourd’hui plus que jamais pluriels. D’ores et déjà, nous pouvons dire que les définitions d’hier sont obsolètes. En 2022, se créent, sous nos yeux, les futurs actifs qui permettront demain le financement de l’économie réelle, le développement des places de marchés décentralisées plus accessibles et plus transparentes, l’émergence des nouvelles monnaies centrales et des banques commerciales autonomes ».

Dressant un tableau des mutations à venir, il appuie sur les conditions de leur réalisation, la volonté politique, dont il dénonce au passage la grande timidité : « La finance sera directement 3.0. Pas simplement numérique, car elle l’est déjà, mais décentralisée avec tous les défis, les risques et les opportunités que cela pourra engendrer. Toutefois, si « l’imagination est un avant-goût de ce que la vie nous réserve », reste que la volonté politique est nécessaire. À l’heure d’écrire ces lignes, le constat est simple. Nous en manquons ».

La volonté politique sera-t-elle au rendez-vous ?

Le rapport du député est découpé en quatre parties, denses et riches, qui se veulent à la fois synthétiques et analytiques.

PARTIE I – La décentralisation financière, une nouvelle donne en matière de régulation

PARTIE II – Un nouveau rapport à la valeur

PARTIE III – Souveraineté monétaire : entre rupture et continuité

PARTIE IV – La finance numérique de demain

Les bases de la finance décentralisée de demain sont désormais sur la table

Surtout, pourrait-on dire, il est entrecoupé de 22 propositions réparties en six rubriques. Ce faisant, le député Pierre Person laisse des lignes directrices à ses successeurs, pour ne pas dire une véritable feuille de route. En voici la synthèse.

Droit au compte

Proposition 1 : Supprimer la procédure de droit au compte dédiée aux acteurs crypto au profit de la procédure de droit commun.

Proposition 2 : Rendre systématique l’imposition d’une sanction pécuniaire, sous forme d’astreinte, lorsqu’un établissement de crédit attribué par la Banque de France en vertu du droit au compte ne se conforme pas à ses obligations.

Proposition 3 : Permettre aux acteurs enregistrés comme PSAN d’obtenir les services bancaires nécessaires à l’exercice et au développement de leurs activités. En parallèle, confier à l’ACPR la mission de contrôler la mise en œuvre régulière de ces services et, à défaut, d’imposer une mesure d’astreinte.

Proposition 4 : Approfondir les travaux engagés par le groupe de travail sur l’accès des PSAN aux comptes bancaires et, sur cette base, confier à l’ACPR le développement de lignes directrices à destination des établissements de crédit et des acteurs de l’écosystème des crypto-actifs.

Fiscalité

Proposition 5 : Instaurer un sursis d’imposition, limité à trois ans après l’opération faisant l’objet d’une imposition, pour les échanges d’actifs numériques réalisés par des entreprises et professionnels.

Proposition 6 : Instaurer un régime de faveur similaire au régime de l’apport[1]cession pour les apports d’actifs numériques à des sociétés traditionnelles.

Proposition 7 : Instaurer la possibilité, pour le contribuable, de reporter les moins-values sur cession d’actifs numériques sur les plus-values de même nature, jusqu’à trois ans après leur constatation.

Proposition 8 : Instaurer un régime fiscal similaire au régime des attributions gratuites d’actions (AGA) aux attributions gratuites d’actifs numériques (AGAN) réalisées par une entreprise émettrice de jetons à ses salariés. Proposition 9 : Repenser le système fiscal et déclaratif lié aux paiements en crypto[1]actifs afin de lever les frictions fiscales afférentes. Proposition 10 : Centraliser le traitement des dossiers relatifs aux crypto-actifs auprès d’équipes spécialisées au sein de la Direction générale des finances publiques.

Crypto-actifs et climat

Proposition 11 : Accroître le financement de nouvelles sources d’énergie renouvelable en favorisant les partenariats entre les producteurs d’énergie et les mineurs de crypto-actifs, afin d’utiliser les surplus d’énergie autrement perdus.

Proposition 12 : Interdire le minage professionnel de crypto-actifs à partir d’énergies carbonées et adapter la réglementation applicable aux droits à polluer afin de l’appliquer aux mineurs professionnels de crypto-actifs, en attribuant des crédits carbone à ceux participant au financement de nouvelles sources d’énergie renouvelable.

Jetons non fongibles (NFT)

Proposition 13 : En droit civil, définir de manière large la notion de jeton non fongible afin de donner un statut juridique à ces nouveaux objets numériques et les dissocier de la notion d’actif numérique. S’assurer de la juste traduction des usages futurs et du sous-jacent de ces jetons en droit positif.

Proposition 14 : Modifier la réglementation applicable à la propriété intellectuelle afin d’intégrer les jetons non fongibles comme nouveau support. Adapter le droit de la preuve et reconnaître la force probante d’une preuve inscrite dans la blockchain.

Proposition 15 : Organiser, de concert avec les sociétés de perception et de répartition des droits d’auteur, le ministère de la Culture et les représentants concernés, une politique de sensibilisation à l’égard des droits de propriété au sein de la technologie NFT et éduquer quant à la publication d’une œuvre sous ce format.

Proposition 16 : Fiscaliser les revenus tirés des jetons non fongibles selon le régime fiscal applicable à leurs sous-jacent et, en parallèle, instaurer un report d’imposition des plus-values générées à l’occasion d’un échange entre un jeton non fongible et un actif numérique.

Souveraineté monétaire

Proposition 17 : Favoriser le développement de stablecoins en euros privés afin de défendre la souveraineté monétaire européenne dans ce nouvel écosystème.

Proposition 18 : Émettre une MNBC (i. e. monnaie numérique de banque centrale) de gros, à destination des acteurs du système bancaire et financier, afin de compléter la modernisation des marchés financiers via la blockchain.

Proposition 19 : Émettre un euro numérique de détail, à destination de tous les particuliers et de toutes les entreprises, dont certains pré-requis auront fait l’objet, au préalable, d’une réflexion approfondie :

(i) Accessible partout et par tous, que l’on soit connecté au réseau centralisé ou non, que l’on soit équipé de matériel informatique ou non ;

(ii) Confidentiel s’agissant des données personnelles des citoyens, avec la possibilité d’identifier les personnes et les transactions dans le cadre de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, sous le contrôle d’une autorité administrative indépendante et d’une autorité judiciaire ;

(iii) Dont la structure repose sur les acteurs bancaires traditionnels afin que ces derniers puissent diffuser l’euro numérique à travers les différentes couches de la population et sans que cela ne crée un risque systémique pour la stabilité financière ;

(iv) Dont la structure permet de faire face aux risques de dysfonctionnements et d’attaques sur les smart-contracts chargés de collecter l’impôt – les services de l’État doivent monter en compétence d’un point de vue technique sur les possibilités offertes par la blockchain ; (v) Dont la structure permet de développer des applications innovantes relatives à la collecte de l’impôt et à la politique monétaire (monnaie hélicoptère).

Finance décentralisée

Proposition 20 : Modifier la réglementation applicable, actuelle et à venir, aux protocoles de finance décentralisée afin de développer un régime de « bac à sable », sous la supervision des autorités de régulation compétentes.

Proposition 21 : Organiser une comitologie publique à l’échelle européenne regroupant les acteurs de l’écosystème, les acteurs bancaires et financiers, les régulateurs et les autorités politiques afin de définir les lignes directrices d’une réglementation efficace et protectrice des utilisateurs, applicable aux entités de la finance décentralisée.

Proposition 22 : (i) Permettre aux DAO d’obtenir la personnalité juridique afin de reconnaitre leur existence juridique et leurs donner le pouvoir de nouer des relations contractuelles à l’instar d’autres personnes morales ; (ii) Développer un cadre réglementaire afin prendre en compte leur gouvernance, d’assurer leur stabilité financière notamment afin de protéger leurs membres et de garantir leur sécurité informatique.

L’Assemblée nationale à l’heure des crypto-actifs et de la DeFi

A travers son rapport, qui est le fruit de plusieurs années de constatations et de réflexions personnelles relatives à l’écosystème des crypto-technologies, le député Pierre Person propose une synthèse sérieuse et complète, met les choses à plat, fait litière des poncifs et caricatures, souligne les enjeux et bénéfices de cet écosystème encore adolescent, et fait un pari sur l’avenir. En cela, il n’est pas que le testament parlementaire d’un des principaux défenseurs de l’écosystème. Il est une véritable profession de foi, au sens noble du terme, qui transcendera le changement de législature à venir. Et qui donne tout son sens au mot politique.

BREAKING NEWS #2

L’Autorité des Marchés Financiers met à jour sa « doctrine » relative aux prestataires de services sur actifs numériques (PSAN)

Le 31 mai dernier, l’AMF a actualisé la « doctrine » relative au régime des prestataires de services sur actifs numériques qu’elle exprime à travers sa « position DOC-2020-07 », dans la dernière version qu’elle a appliquée du 7 juin 2021 au 30 mai 2022. Cette doctrine, qui prend la forme de questions-réponses, apporte des précisions sur les dispositions du Titre II relatif aux prestataires de services sur actifs numériques (art. 721-1 à 722-31) du Livre VII de son Règlement général, dont la dernière version est en vigueur depuis 20 mai dernier.

Cette actualisation n’emporte pas de bouleversements, mais propose quelques retouches ciblées à destination, notamment, des plateformes d’échanges (« decentralized Exchanges » ou « DEX ») qui opèrent dans le domaine des crypto-actifs. Sa mise à jour, indique-t-elle, est destinée à « tenir compte des évolutions dans les produits et les modèles d’affaires des acteurs du secteur ». D’apparence sibylline, la formule traduit bien l’attention que porte l’AMF à l’évolution de ce marché et sa volonté de corréler ses propres normes, qui éclairent les dispositions du chapitre du Code monétaire et financier consacré aux prestataires de services sur les actifs numériques (art. L. 54-10-1 à L. 54-10-5), au développement et à l’évolution des outils de la finance décentralisée (DeFi) et des services offerts par les plateformes d’échanges. Si cette mise à jour était programmée, gageons que la récente et toujours actuelle période de « bear market » des crypto-monnaies, dont le mouvement s’est trouvé décuplé par l’effet du krach du 12 mai 2022 lié à l’effondrement du tandem Terra (UST) / Luna, n’est pas totalement étrangère aux solutions retenues. Et qu’elle alimentera la vigilance de l’AMF dans un avenir proche. L’AMF rappelle d’ailleurs précautionneusement à l’occasion de sa mise à jour que « la position DOC-2020-07 conserve son caractère évolutif et pourra faire l’objet de mises à jour régulières, en fonction des questions soulevées par les acteurs ».

L’AMF met à jour sa doctrine relative aux PSAN

Comme l’indique l’AMF dans le communiqué qu’elle a publié le 1er juin sur son site internet, la mise à jour de sa doctrine a pour objet de préciser certaines dispositions de sa « position DOC-2020-07 », et d’en supprimer d’autres, jugées obsolètes (en l’occurrence des dispositions transitoires ou applicables antérieurement au 1er mai 2021). Seuls les apports de cette actualisation retiendront notre attention.

Les apports de la mise à jour

En premier lieu, l’AMF rappelle aux acteurs qui souhaitent s’enregistrer en tant que PSAN la nécessité de s’assurer que les actifs sur lesquels ils proposent des services sont bien des actifs numériques (au sens de l’article L. 54-10-1 du Code monétaire et financier évidemment).

Cette préconisation est inscrite sous la question 1.1 de la doctrine, qui précise au passage que la fongibilité d’un actif n’est pas un élément de sa qualification.

L’AMF reprend en filigrane la solution de l’article L. 54-10-1 selon laquelle sont exclues de la qualification d’actif numérique les représentations numériques d’une valeur qui possèdent « le statut juridique d’une monnaie », par définition fongible.

Au demeurant, cette exclusion n’est pas sans soulever quelques interrogations. Elle appellerait en effet que l’on s’interrogeât sur le statut des stablecoins. Mais également sur celui du bitcoin lui-même, qui dispose de tous les attributs d’une monnaie, à l’exception de son rattachement à une banque centrale et à un cours légal : le bitcoin est en effet une réserve de valeur tokenisée ; il constitue en outre un véritable moyen de paiement dans l’univers physique, qui se développe jour après jour, et repose sur une blockchain qui ne permet pas l’implémentation de smart contracts, et donc d’applications décentralisées (Dapps). Bref, son sous-jacent est exclusivement orienté vers sa fonction : celle d’être une véritable monnaie … ce que Satoshi Nakamono exposait du reste dans son « white paper », dont l’intitulé même ne trompe pas : « Bitcoin: A Peer-to-Peer Electronic Cash System »).

Le bitcoin dépasse-t-il la notion d’actif numérique ?

Pourtant, au sens de la législation, il n’est pas contesté que tout opérateur permettant l’échange de bitcoins ou de stablecoins offre bien au public des services sur des actifs numériques.

Un début de contradiction à résoudre, donc.

Pour revenir à notre mise à jour, la doctrine de l’AMF souligne, ce faisant, la nécessité que les prestataires assurent un suivi de la nature des actifs numériques sur lesquels portent les services qu’ils proposent, et ce tout au long de la fourniture de ces services. En visant sa question 2.1, l’AMF laisse entendre que l’actif numérique sur la base duquel les prestataires de services ont été enregistrés ou ont reçu l’agrément doit rester identique dans le temps, sauf à ce qu’une nouvelle demande d’enregistrement ou d’agrément soit déposée.

En deuxième lieu, l’AMF complète sa question 3.1 afin de préciser la notion de communication promotionnelle, laquelle permet de localiser un service sur actifs numériques sur le territoire français.

Afin de clarifier les situations dans lesquelles il doit être considéré que le PSAN prend une telle initiative, l’AMF précise que cette communication est considérée comme effectivement réalisée par le prestataire lorsqu’elle est diffusée à son initiative ou pour son compte par un tiers.

Cette précision se rapporte au champ d’application de l’enregistrement des prestataires de services sur actifs numériques, que l’article L. 54-10-3 du Code monétaire et financier impose aux prestataires « établis en France ou fournissant ces services en France » (à la différence de l’agrément, qui ne concerne que les prestataires établis en France : art. L. 54-10-5 CMF, doctrine, question 4.1). L’article 721-1-1, 3° du Règlement général de l’AMF prolonge cette disposition en posant le principe selon lequel fournit un service en France « le prestataire (qui) adresse une communication à caractère promotionnel, quel qu’en soit le support, à des clients résidant ou établis en France ».

L’AMF indique ensuite renforcer les critères de substance pris en compte pour l’agrément des PSAN, ce en exigeant l’utilisation d’une langue compréhensible pour les clients français sur les supports de communication et dans le cadre du traitement des réclamations adressées par ces derniers.

Cette exigence n’est guère problématique pour les opérateurs français, comme Coinhouse ou Just Mining par exemple, respectivement enregistrés comme PSAN auprès de l’AMF depuis les 17 mars 2020 et 11 mai 2021. Elle concerne surtout les opérateurs étrangers qui se développent à l’international, comme Binance qui, après avoir établi son siège européen à Paris, a obtenu son enregistrement comme PSAN le 4 mai 2022 (cf. la liste des PSAN enregistrés auprès de l’AMF).

L’enregistrement des PSAN par l’AMF

En troisième lieu, l’AMF indique également que l’utilisation d’une interface de programme d’application (« Application Programming Interface » ou « API ») n’exclut pas la qualification du service de conservation d’actifs numériques ou d’autres services sur actifs numériques, si bien qu’une analyse au cas par cas des services concernés doit être menée. Ainsi, le fait de gérer les actifs d’un client par le biais de la mise à disposition de connexions « API » peut, selon les droits accordés, nécessiter un enregistrement. Tel sera notamment le cas lorsque le service en cause aura pour objet la « conservation pour le compte de tiers d’actifs numériques ou d’accès à des actifs numériques, le cas échéant sous la forme de clés cryptographiques privées, en vue de détenir, stocker et transférer des actifs numériques », pour reprendre l’hypothèse visée par l’article L. 54-10-2, 1° du Code monétaire et financier (v. égal. les articles 722-1 et suivants du Règlement général de l’AMF).

En quatrième lieu, enfin, l’AMF introduit une question 12.3, nouvelle, qui dénote la difficulté, et son embarras, à définir et à qualifier certaines opérations financières sur actifs numériques, en l’occurrence le « staking » et le « lending » de crypto-actifs.

La question posée est la suivante : une activité dite « d’engagement » ou de « staking » (qui consiste schématiquement à déléguer ou « louer » des crypto-monnaies auprès de validateurs d’une blockchain fonctionnant sur un schéma de validation de type « proof of stake » (PoS) en contrepartie de la perception d’un revenu passif), ou une activité de prêt d’actifs numériques ou « cryptolending » (qui consiste à mettre des crypto-monnaies à disposition d’un emprunteur qui les restituera à l’issue d’une certaine durée en contrepartie du versement d’intérêts), s’analyse-t-elle en la fourniture d’un service sur actifs numériques relevant des dispositions de l’article L. 54-10-2 du Code monétaire et financier et/ou d’un service de paiement au sens de l’article L. 314-1 du même code ?

Afin de résoudre cette difficulté de qualification, dont dépendent des exigences particulières d’enregistrement ou d’agrément, les acteurs qui souhaitent proposer à leurs clients de services leur permettant de participer à l’une ou l’autre de ces activités (staking / lending) sont désormais invités à mener une analyse juridique approfondie afin de déterminer si l’un des deux régimes précités (services sur actifs numériques / services de paiement), ou les deux, s’appliquent à leur activité.

La réglementation relative aux PSAN à l’épreuve de la qualification des services sur actifs numériques

Les acteurs non enregistrés dans le collimateur de l’AMF

On le constate, l’AMF suit de près l’évolution rapide du marché des crypto-actifs et observe les comportements des opérateurs sur ce marché. En adaptant régulièrement sa propre réglementation à l’état des lieux qu’elle dresse à intervalles tout aussi réguliers, l’AMF entend indirectement rappeler à l’ordre ceux des opérateurs qui, sans avoir été enregistrés comme PSAN, proposent des services sur actifs financiers à la clientèle française (v. par ex. Cryptoast, « PSAN : l’AMF publie de nouvelles conditions à respecter plus strictes »).

Les PSAN « de fait » dans le viseur de l’Autorité des Marchés Financiers

A la lumière du contexte actuel très contrasté du marché des crypto-actifs, pris entre le feu d’un développement incessant généré par les nombreuses forces vives de l’écosystème, d’un côté, et celui des réactions et interrogations des utilisateurs victimes du très récent krach du mois de mai, de l’autre, nul besoin d’être devin pour prédire que de prochaines mises à jour de la doctrine de l’AMF feront parler d’elles dans un futur relativement proche. Plus que jamais, l’AMF est sur le qui-vive.

Régulation – Règlement MiCA #2 

Nomen, notions, concepts – Ex facto jus oritur, ou le passage du fait au droit

La législation en quête de ses notions et concepts

La Proposition de règlement décline certaines notions nées hors du droit, dans l’univers purement factuel et technologique de la communauté des programmeurs et développeurs. Ces notions entrent progressivement par la grande porte dans l’univers du discours juridique. La Proposition de règlement MiCA accentue encore le mouvement.

Les principaux nomen de la Proposition de règlement

Les instances européennes, comme il a été vu, se montrent conscientes de la spécificité du sous-jacent technologique novateur sur lequel reposent les crypto-actifs, et plus généralement la finance décentralisée (DeFi). Car, en effet, expose la Proposition de règlement, les « crypto-actifs sont l’une des principales applications de la technologie de la chaîne de blocs dans le domaine financier ».

Le mot magique est lâché : chaîne de blocs, ou blockchain. Ce protocole informatique et numérique crypté est la matrice de la finance de demain. Et de bien d’autres applications encore, qui irrigueront le commerce adossé au Web 3.0. Les instances européennes le savent. Elles ont suffisamment été alertés par l’Autorité bancaire européenne (ABE) et l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) de la « forte hausse de la capitalisation boursière des crypto-actifs en 2017 », rappelle la Proposition. Et aussi, ne soyons pas dupe, des menaces que cette finance numérique décentralisée pourrait rapidement faire peser sur la finance classique. Or, cette nouvelle économie repose toute entière sur un écosystème regroupant une multiplicité de blockchains.

Quoi qu’il en soit, le terme « blockchain » est passé du langage des « crypto-geeks » et autres « cypherpunks » à celui, châtié, du lexique de l’Union européenne. Preuve de la maturité de la notion. Satoshi aurait-il pu l’imaginer en 2008 ?

A ce stade, on constatera que la notion de blockchain n’est pas définie par la Proposition. Probablement, une définition émergera un jour prochain dans la législation européenne. Ou des définitions, possiblement, car la notion de blockchain n’est pas univoque. Déjà, parce qu’une chaine de blocs peut schématiquement être publique (« permissionless »), et donc pleinement décentralisée, être autorisée (« permissionned ») ou être totalement privée, et donc fermée et centralisée bien que partagée entre quelques participants. Ensuite, parce qu’une blockchain peut être unitaire et linéaire, reposer sur une intrication de chaines de blocs comme dans le projet de « Chainweb » de Kadena, et/ou fonctionner en couches superposées (layers), avec une blockchain principale et une blockchain secondaire, une « sidechain », qui présente ses propres spécificités (comme c’est par exemple le cas de « Kuro », qui travaillera en layer 2 combiné au layer 1 « Chainweb » dans le projet Kadena.

« La technologie de la chaîne de blocs »

La Proposition consacre d’autres notions bien connues à la fois des crypto-geeks en T-shirts, des « DeFiers » en sweats noirs et des financiers les plus décravatés. A commencer par celle de stablecoins, que la Proposition traduit par « jetons de valeur stable ». Tout en reconnaissant, en septembre 2020, que « si le marché des crypto-actifs demeure de taille modeste et ne constitue pas actuellement une menace pour la stabilité financière », les institutions européennes alertent : sous l’angle des stablecoins, et plus particulièrement des « jetons de valeur stable de niveau mondial (global stablecoins) », la « situation pourrait évoluer » au point de porter atteinte à la stabilité financière. Bigre !

Token et DLT font également leur apparition, puisque le but des travaux initiés par la Proposition est d’ « instaurer un cadre européen qui permette à la fois la création de marchés de crypto-actifs, la tokénisation des actifs financiers traditionnels et un recours plus massif à la DLT dans les services financiers ». Ce qui, au passage, selon les instances européennes, implique d’élargir la notion d’instrument financier afin d’y englober ceux d’entre eux qui, précisément, reposent sur cette « DLT », et de mettre en place un régime pilote pour les infrastructures de marché qui reposent sur la « DLT ».

Quelques mots d’explication s’imposent.

Le « token » n’est rien autre qu’un jeton dématérialisé qui représente les droits, ou une fraction d’entre eux, dont un individu peut disposer sur un crypto-actif sous-jacent, et qui garantit à chaque instant la part de droits et de valeur qu’il détient dans ledit actif, sa titularité exclusive en tant que propriétaire du jeton et l’origine de cette titularité. En somme, c’est une unité de valeur numérique authentifiable et traçable, bien qu’anonymisée car cryptée.

L’archétype du token est celui que constitue chaque unité qui compose une cryptomonnaie : la monnaie Bitcoin (BTC) sera composée à terme de 21 millions de tokens, celle de Ripple (XRP) est déjà constituée de 100 milliards de tokens. Certaines, comme la monnaie de Binance (BNB), ont un nombre de tokens qui évolue entre un plancher et un plafond au gré des opérations de création ou de « burn » de jetons. Tout dépend du protocole défini par les créateurs dans leur white paper, cette charte initiale qui décline les paramètres du projet crypto-numérique envisagé.

Tokens fongibles

Appliqué à une monnaie numérique, à une cryptomonnaie, donc à un crypto-actif, la « tokenisation » n’est autre que le processus qui permet, sur la blockchain qui la soutient, de fractionner l’actif qu’elle représente en une multiplicité de jetons afin de lui conférer une liquidité et une négociabilité quasi parfaites.

En présence d’un token non fongible (un « non fungible token », donc, ou « NFT »), l’opération de tokenisation tend à remplir la même fonction, mais selon des modalités différentes, adaptées à la spécificité de l’actif  sous-jacent : l’idée est de rendre l’actif plus liquide et de renforcer sa négociabilité en l’incarnant en un jeton numérique qui exprimera sa valeur, soutiendra sa singularité et son absence de réplicabilité, et garantira son authenticité en faisant de lui un bien pleinement singulier. Un « corps certain crypto-numérique », en somme, à la titularité indiscutable.

Non Fungible Token = Corps Certain Numérique

L’écosystème assis sur les blockchains, fait-on observer, rend possible pas moins que la « tokenisation de l’économie », ou à tout le moins d’un pan de celle-ci, via un processus de digitalisation de valeurs que l’économie numérique permet aujourd’hui de déployer avec facilité (v. par ex. D. Legeais, Blockchain et actifs numériques, 2e éd., LexisNexis, 2021, n° 15 et s., p. 8 et s. ; sur la tokenisation dans le domaine des « actifs numériques », v. du même auteur Juriscl. Banque et Bourse, Fasc. 535, Actifs numériques et prestataires sur actifs numériques, 2019, n° 6 et s.).

La « DLT » est l’acronyme de technologie de registres distribués (« Distributed Ledger Technology »). Au sens de la notion exposée par la Proposition de règlement, un registre distribué est une base de données décentralisée gérée par plusieurs participants, dans laquelle l’historique des transactions est enregistré par une pluralité d’acteurs (en l’occurrence les mineurs). Ces derniers enregistrent et valident les transactions simultanément. Les enregistrements font l’objet d’un horodatage unique et d’une signature cryptographique qui garantit la sécurité et l’incorruptibilité des opérations et du réseau. La blockchain « open source », ou publique, n’en est qu’une variété particulière, même si elle constitue l’archétype du registre distribué (sur les différentes variétés de « DLT », on consultera avec intérêt D. Legeais, Blockchain et actifs numériques, n° 28 et 29, p. 18-19 et, par exemple, un bref article du Journal du coin, Les technologies de registres distribués (DLT).

Du nomen descriptif à la notion juridique consacrée

Les crypto-technologies et la finance décentralisée (DeFi) que ces technologies rendent possibles ont fait naître un nombre très important de termes techniques nouveaux. Il n’y a là que réitération d’un phénomène classique, qui se produit à chaque apparition d’une nouvelle technologie à fort impact qui induit de nouvelles activités et de nouveaux métiers. Ce fut le cas avec l’invention du moteur à vapeur puis à explosion qui nous fit entrer dans l’ère du machinisme, avec l’invention des microprocesseurs qui nous fit entrer dans l’ère informatique, et enfin plus récemment avec l’élaboration des protocoles informatiques de mise en réseau des ordinateurs qui nous éleva à l’ère d’internet. C’est indiscutablement le cas aujourd’hui avec l’avènement de l’écosystème des blockchains, dont les innovations et les potentialités économiques qu’il offre sont telles qu’on peut d’ores et déjà parler, sans risque de se tromper, de nouvelle ère, celle des crypto-technologies et de la décentralisation, et même de révolution. D’une révolution qui n’est peut-être pas moins qu’à la hauteur de la révolution industrielle elle-même, dont internet n’aura finalement été que le raffinement et l’aboutissement ultimes. L’avenir nous dira si la mise en perspective de ces deux époques et de ces deux types de technologies fait sens.

Logiquement, sous nos yeux, un nouveau langage se crée et un vocabulaire inédit foisonne et s’impose. Au point que des lexiques impressionnants ont fleuri, aussi bien au gré d’initiatives individuelles à visée de vulgarisation (notamment sur les nombreux sites consacrés à la « crypto » : par exemple sur bitcoin.fr, sur coinacademy.fr, sur cryptoast.fr, sur cryptoencyclopédie.com, etc., ou même sur des sites plus généralistes, comme celui de BFM Business) que d’initiatives plus officielles réalisées à des fins d’information prénormative, comme c’est le cas du « Glossaire Blockchain » édité par l’Unesco.

Quid facti, quid jus ?

La plupart des termes issus de la pratique de l’écosystème des crypto-technologies ont et conserveront le rang de simples nomen techniques, désignant un simple aspect technique, une fonction, un protocole, etc. D’autres, au contenu nécessairement plus normatif, seront possiblement élevés au rang de notions juridiques. Et quelques-unes d’entre elles deviendront peut-être les grands concepts juridiques de demain.

Du fait au droit – Du nomen à la notion juridique

Ce processus de sélection se fera naturellement. Il ne sera pas simplement le résultat d’un choix législatif ou jurisprudentiel. Nul besoin de démiurge pour promouvoir le fait en droit. Car la maxime ex facto jus oritur exprime une réalité bien plus subtile qu’il n’y paraît (comp. Ch. Atias, Philosophie du droit, 4e éd., PUF, coll. Thémis, 2016, n° 79, p. 387). Le fait brut coexiste en effet inévitablement avec une réalité qui contient déjà en puissance ses extensions juridiques ; il n’appartiendra alors plus qu’à l’ordre juridique de s’en saisir pour les actualiser au gré des besoins que l’écosystème, d’une part, et l’ordre juridique, d’autre part, feront apparaître.

Nul doute que dans cette optique, le recours à l’analyse économique pourra s’avérer précieuse. Naturellement pas dans l’esprit de plaquer les critères exogènes d’une autre discipline sur ce biotope numérique qui existe aujourd’hui à l’état de nature, mais dans celui de capter ses réalités immanentes et d’informer ses virtualités avec une meilleure acuité (comp. Ejan Mackaay et alii, Analyse économique du droit, 3e éd., Dalloz, 2021, passim.).

Jus ex machina

L’heure des définitions a sonné. Et des justes définitions. On a de longue date fait observer, à l’époque de l’explosion de l’informatique et de l’internet naissant, que le développement de ces nouvelles activités techniques au champ lexical propre obligeait les juristes à une rigueur toute particulière (v. P. Catala, Le droit à l’épreuve du numérique – Jus ex machina, PUF, coll. Droit, Ethique, Société, 1998).

Dans cette œuvre définitionnelle, qui se veut par principe rigoureuse, des arbitrages pour partie conscients, pour partie inconscients vont intervenir. En première instance pour déterminer si un nomen du langage courant de l’écosystème des crypto-technologies dispose ou non d’une normativité immanente, et donc d’une profondeur de champ suffisante pourrait-on dire : dans l’affirmative, sa promotion au rang de concept juridique sera entendue ; dans le cas contraire, une autre notion lui sera préférée et il restera lui-même, tel qu’il est, utile pour décrire ce qu’il représente, mais inutile pour animer la réflexion et soutenir le raisonnement.

Le processus de sélection : de l’indifférence à la promotion

L’oscillation, l’ambivalence, l’incertitude et l’hésitation inhérentes aux premières heures de la conceptualisation d’un nouveau terrain d’exploration accompagnent inévitablement le mouvement de sélection ici à l’œuvre, l’un des plus naturels de la construction juridique. Ainsi, fait-on justement observer, « un mot emprunté au langage courant peut aboutir, par une série d’affinements, à un sens spécifique ou être évincé du langage juridique au profit d’un terme technique propre à celui-ci » (J.-L. Bergel, Théorie générale du droit, 5e éd., Dalloz, 2012, n° 209, p. 223). Ce mouvement de sélection, qui accueille et transforme le fait brut, ou au contraire l’ostracise, relève d’un donné métajuridique. A ce titre il est inexorable, implacable.

La catégorie des élus et celle des bannis laisse subsister un entre-deux, qui abrite les nomen « à charge faible » du langage courant. Ceux-là, tout en conservant leur extension technique, en acquerront une autre, conceptuelle celle-là, qui s’agrègera à la première. Ils sortiront indemnes de la sélection, mais ne seront que faiblement promus. Car, fait-on observer, « il arrive que l’on soit obligé de renoncer à toute définition face à des concepts purement qualitatifs qui se comprennent mieux qu’ils ne se définissent » (J.-L. Bergel, Théorie générale du droit, n° 211, p. 224). C’est finalement à l’importance ou à l’utilité de ce qu’ils représentent et signifient qu’ils devront leur passage du fait au droit, et non à leur aptitude à soutenir la pensée et à induire des solutions. Dans l’architecture juridique, ils seront brique, et non voûte.

Le spectre de la pensée et du discours juridiques se dévoile, qui oscille du fait brut à la définition stricte, en passant par les phénomènes statiques et dynamiques, les notions techniques, les notions juridiques simplement descriptives ou quantitatives à contenu défini, les notions juridiques souples à contenu variable et les concepts normatifs (comp. J.-L. Bergel, Théorie générale du droit, n° 277, p. 300-301). Ce spectre se retrouve de manière invariable lors de toute saisie des activités humaines par le droit. Il planait au-dessus de la conceptualisation juridique des phénomènes d’appropriation, de transfert de valeurs, de production d’œuvres de l’esprit, etc. Il sera encore présent pour l’intégration dans l’ordre juridique des données brutes propres aux crypto-technologies et à leurs multiples applications.

Au terme de ce mouvement, c’est un langage juridique spécifique qui apparaîtra. François Gény, par exemple, écrivait qu’au terme de ce processus émerge « une langue technique, s’appuyant à la langue commune, mais en précisant les termes ou les formes, parfois les dénaturant, au besoin même en changeant tout à fait l’application, de façon à obtenir un idiome spécialement adapté au but poursuivi, et qui finalement lui marque sa place distincte au milieu des confusions, des obscurités et des équivoques de la langue vulgaire » (Sciences et technique en droit privé positif, T. III, Rec. Sirey, 1921, n° 256).

De la langue technique au langage juridique

Aujourd’hui, le dictionnaire qui sert de support à ce langage juridique spécifique est encore presque exclusivement composé de pages blanches. A nous désormais de les remplir. Ce qui ne va pas se faire sans de nouveaux arbitrages.

Logos sui generis ou logos classique ?

A ce stade, une question reste en suspens. Celle de savoir quel rapport les nouvelles notions techniques issues de l’univers « crypto », pour celles du moins qui ne sont pas que de simples hypostases, entretiendront avec les notions juridiques classiques.

Deux conceptions sont potentiellement envisageables : répondre à la très grande originalité de l’ « écosystème blockchain » en faisant table rase des notions et concepts juridiques traditionnels, ou au contraire les employer en les adaptant à la spécificité de ce sous-jacent très particulier.

La question est ouverte. La première option est certes incroyablement stimulante. Créer ex nihilo une véritable architecture juridique pour définir et régir un écosystème numérique sui generis, voilà une sacrée gageure. Mais ce serait ajouter une inconnue à une équation technologique déjà bien délicate à appréhender. Aussi la seconde option sera privilégiée par les prudents, mais également par les confiants, ceux qui pensent que la plasticité déjà éprouvée de l’ars juris permettra d’absorber la spécificité de ce nouvel écosystème.

Posant la question « quel droit pour la blockchain ? », le Professeur Dominique Legeais écrit par exemple à ce sujet : « Les liens de la blockchain et du droit sont à construire. C’est que la technologie s’est imposée en marge du système juridique (…) Les acteurs de la blockchain se donnent même pour ambition de reconstruire un droit parallèle exclusivement applicable à ce protocole et à ses créations (…) Il y aurait ainsi un corps de règles applicable au monde « fiat » et un système juridique applicable à l’écosystème blockchain. Mais ne s’agit-il pas simplement d’un changement d’appellation pour désigner les mêmes concepts ? On peut se poser la question. Les mécanismes juridiques forgés depuis des siècles ont fait leur preuve. Il semble illusoire de vouloir les remplacer. Tout au plus faut-il les adapter aux nouvelles technologies. Le système juridique a déjà à de nombreuses reprises montré sa faculté d’adaptation (…) L’évolution récente montre une volonté du législateur d’intégrer et de donner une valeur juridique à ces nouvelles créations issues de la technologie. Dans la majorité des cas, il semble donc préférable de tenter d’assimiler les nouveautés aux institutions et mécanismes existants plutôt que de tenter la rupture à tout prix » (in Blockchain et actifs numériques, n° 78, p. 50).

Quel droit pour l’écosystème des crypto-technologies ?

Il faut bien reconnaître qu’une construction juridique ex nihilo, détachée du corpus juridique classique, aussi stimulante soit-elle, risquerait de poser des problèmes insurmontables : en termes de compréhension, d’opérabilité ou d’incertitude judiciaire, et donc de prévisibilité. En outre, elle coexisterait inévitablement avec le discours juridique classique, tant il relève du réflexe reptilien de toujours rattacher sa pensée et son discours à des notions connues et éprouvées. Après tout, la blockchain publique, archétype des registres distribués, n’est-elle pas une « res nullius » d’un nouveau type ? Et le jeton non fongible (NFT), n’est-il pas avant tout un simple « corps certain » ? Ces notions juridiques, non pas simplement séculaires mais millénaires, conserveront assurément leur utilité pour décrire l’écosystème et l’intégrer dans un champ normatif. Deux exemples qui montrent au passage le processus classique de subsomption des faits et phénomènes sous des notions de référence inhérent à l’élaboration et à l’enrichissement du langage juridique (comp. J.-L. Bergel, Théorie générale du droit, n° 275, p. 298), processus auquel le donné technique de l’écosystème des crypto-technologies ne devrait pas échapper.

La difficulté liée à la coexistence de deux logos juridiques parallèles ne serait pas mince. Elle a déjà été soulignée : « Il apparaît difficilement réaliste de voir se côtoyer deux droits reposant sur des bases différentes » (D. Legeais, op. et loc. cit.).

En réalité, le sujet n’est pas là. Car personne ne peut réellement douter que les grandes notions juridiques, comme les classifications fondamentales trouveront à s’appliquer de manière très naturelle. La question est plutôt de savoir si les notions et catégories traditionnelles seront suffisantes pour embrasser l’intégralité du spectre de cet écosystème crypto-numérique. A ce point de vue, force est de considérer, à la lumière de l’incroyable spécificité de cet univers, que des nouvelles figures juridiques ne manqueront pas d’apparaître.

C’est finalement une troisième voie, hybride, qui vraisemblablement triomphera : de nouvelles notions, voire de nouvelles classifications viendront compléter et renforcer le corpus juridique classique. Toute la question est alors de savoir si les premières ne risquent pas faire perdre leur cohérence aux secondes.

Naturellement, ces interrogations se posent hors de la Proposition de règlement MiCA. Elles trouveront leurs réponses au gré des législations à venir. A ce titre, la Proposition de la Commission européenne et le futur règlement sur les marchés de crypto-actifs participent déjà, même modestement, à ce mouvement qui conduira à extirper de la nébuleuse actuelle les notions et concepts juridique de demain.

L’Europe à l’heure des choix

Au législateur européen comme aux législateurs nationaux se poseront d’autres questions, parmi lesquelles le choix entre la rigueur de la norme retenue ou sa relative souplesse. Car l’on sait qu’un texte précis « engendre la sécurité dans les relations juridiques mais peut étouffer la réalité de certaines situations individuelles », alors qu’un texte plus imprécis « confère moins de sécurité (…) mais permet au juge de dégager une solution mieux adaptée aux faits » (J.-L. Bergel, Théorie générale du droit, n° 212, p. 226). Il ne reste plus qu’à espérer que les uns et les autres opteront en conscience, et non par défaut.

BREAKING NEWS #1

Le Parlement européen adopte une résolution visant à tracer et identifier les transferts de crypto-actifs dans l’UE !

Alors que les esprits se sont à peine calmés à la suite d’une résolution votée au Parlement européen le 14 mars 2022, qui évacue provisoirement le risque d’une interdiction des crypto-technologies reposant sur un système de validation par preuve de travail (PoW), voilà qu’un vote des députés de la commission des affaires économiques et monétaires et de la commission des libertés civiles du Parlement européen en date du 31 mars 2022 alimente un nouveau psychodrame dans la cryptosphère.

Cette résolution définit la feuille de route que le Parlement européen devrait suivre dans le cadre du projet de loi visant à renforcer les règles de l’Union européenne contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

Les préconisations des députés partent d’un constat : à ce jour, il n’existe pas, au sein de l’UE, de règles permettant de tracer les transferts de crypto-actifs ou de fournir des informations sur leurs initiateurs et leurs bénéficiaires.

L’ambition affichée est dès lors limpide : il s’agit d’élargir et d’adapter aux transferts de crypto-actifs les règles actuelles qui permettent de stopper les flux illicites dans l’UE.

Naturellement, l’objectif d’éviter le blanchiment de capitaux et autres crimes, parmi lesquels le financement du terrorisme, est louable. Qui pourrait en disconvenir ?

Suspicion de piraterie dans la cryptosphère européenne ?

Il n’en demeure pas moins que les solutions retenues sont particulièrement sèches ! Et bien évidemment anxiogènes pour la communauté de la crypto-économie, habituée à évoluer dans un univers dérégulé au sein duquel règne un anonymat synonyme de garantie du respect de la vie privée, ainsi qu’une sécurité innée qui s’infère de ces modes inédits de consensus de validation et de certification à l’œuvre sur les différentes blockchains.

Les membres des deux commissions précitées du Parlement européen, donc, préconisent que les transferts de crypto-actifs soient tracés et identifiés : aussi les transferts devront-ils être accompagnés de renseignements concernant les sources et les bénéficiaires, et ce même s’agissant des « portefeuilles non hébergés », définis comme une « adresse de portefeuille de crypto-actifs sous la propriété d’un utilisateur privé ». Les « cold wallets » semblent donc ciblées. On pense naturellement à l’extension MetaMask, à la clé physique Ledger, etc. A cette fin, nous dit-on, des solutions technologiques devront être mobilisées afin de permettre d’identifier individuellement les transferts de crypto-actifs.

Et ce sans seuil minimum, les règles devant s’appliquer même pour les transferts d’un faible montant !

Les crypto-actifs sont donc à ce stade assimilés à de la vulgaire monnaie fiduciaire, à de simples espèces, dont on sait que les transferts sont très surveillés. Et on entend les soumettre à un régime plus strict encore, ce que leur nature numérique rend possible, puisque les seuils et exemptions existant pour les transferts classiques d’argent ont vocation à être supprimés à leur égard. Bigre ! De minimis curat legislator !

Heureusement, une exception est prévue, dont il conviendra encore d’apprécier la juste portée : « les transferts de crypto-actifs de personne à personne effectués sans prestataire, comme les plateformes d’échange de bitcoin, ou entre prestataires agissant pour leur propre compte », indique-t-on, sont censés échapper à cette exigence de transparence et de traçabilité.

Quoi qu’il en soit, dans l’optique d’éviter le blanchiment de capitaux et autres crimes, il est envisagé qu’un « registre public des entités à haut risque de blanchiment de capitaux, de financement de terrorisme et d’autres activités criminelles » soit créé par l’Autorité bancaire européenne (ABE). Ce registre est appelé à contenir une liste non exhaustive de prestataires non conformes.

Les prestataires opérant sur le territoire de l’UE ne pourraient dès lors pas finaliser la moindre transaction – et donc rendre les crypto-actifs disponibles pour les bénéficiaires – sans avoir au préalable vérifié si la source dont émanent ces actifs n’est pas sujette à des mesures restrictives, ou s’il n’existe pas de risque de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme.

Clairement, donc, les conditions d’un « flicage » en règle sont en gestation. Le niveau le plus haut de contrôle semble être retenu. Au point que l’anonymat, qui est de l’essence de l’écosystème des crypto-technologies, n’est aujourd’hui plus qu’un malheureux sursitaire.

La fin de l’anonymat sur le marché européen de la crypto ?

On ne s’étonnera donc pas de voir qu’aussitôt publiée, la résolution a attiré sur elle les foudres de ceux qui craignent qu’à force de réglementation, l’Union européenne ne ruine ses chances d’être à la pointe de cet environnement technologique novateur et tellement prometteur. Pour le plus grand bonheur de ses concurrents, évidemment, Etats-Unis en tête, qui ne se priveront pas de caler leurs propres réglementations un cran au-dessous des réglementations européennes afin de maximiser leur attractivité en ce domaine.

Le député Pierre Person, en pointe sur ces questions, n’a pas manqué de réagir dans des termes soutenus. Il fait observer en substance que :

Le texte « nuira aux intérêts économiques et aux libertés individuelles des européens » ;

Le vote s’est fait au prix d’un « manque flagrant de transparence », « sans consultation des experts et acteurs concernés » et moyennant une « précipitation déraisonnable » ;

Le texte repose par erreur sur « une présomption de culpabilité à l’égard des détenteurs des crypto-actifs, considérés comme vecteur de blanchiment d’argent et destinés aux criminels en tout genre » ;

Le « tout-KYC » sans tempérance « est une hérésie pour un secteur qui est totalement transparent par essence », et « conduira de facto à supprimer le pseudonymat des adresses publiques qui garantit le respect de la vie privée des utilisateurs » ;

La réglementation proposée est de nature à tuer plusieurs de nos licornes françaises et produira une « rupture de concurrence entre les acteurs américains et les entreprises européennes » ;

Compte tenu de leur nature décentralisée, les crypto-actifs ne doivent pas se voir appliquer une réglementation pensée pour le secteur bancaire.

A ce stade, il est bien difficile de ne pas être d’accord.

Prudence européenne est mère d’insuccès

Il ne reste dès lors plus à la « communauté des cryptos » qu’à espérer que les instances européennes ne perdent pas de vue que le sens de la mesure est une qualité, sinon une vertu …

Régulation – Règlement MiCA #1

L’Europe à l’heure des enjeux de la crypto-finance

Le 24 septembre 2020, la Commission européenne rend publique une Proposition de règlement « sur les marchés de crypto-actifs », règlement que les spécialistes connaissent sous le doux nom de « MiCA », pour « Markets in crypto-assets ». Elle suit de quelques jours le dépôt d’un rapport contenant des recommandations faites à la Commission sur les questions de la « finance numérique » et, en particulier, des « risques émergents liés aux crypto-actifs », rapport qui conduira à l’adoption d’une résolution par le Parlement européen le 8 octobre 2020.

L’Europe à l’heure des cryptomonnaies

Les instances européennes souhaitent à l’évidence ne pas passer à côté de cette nouvelle économie numérique, tant le greffon est déjà devenu une jeune et fringante sapinière. Il s’agit d’éviter d’effectuer un tout-droit à l’heure où le virage de la finance numérique et du web 3.0 approche à grande vitesse.

En 2020, donc, les décideurs européens ne se laissent pas détourner de leur objectif par la pandémie qui occupe tous les esprits. Et l’objectif est le suivant : « adapter l’Europe à l’ère du numérique ». Mais pas seulement. Car il faut que l’Europe « embrasse la révolution numérique et en devienne le fer de lance avec l’aide de sociétés européennes innovantes ». Les ambitions affichées ne sont pas minces.

Sont-elles précoces ? Sont-elles tardives ? Pour s’en faire une idée, il peut être utile de replacer le moment particulier de cette initiative européenne dans l’histoire – inévitablement récente – des cryptomonnaies (D. Ichbiah et J.-M. Lefranc retracent avec simplicité les principales étapes de cette genèse, in Bitcoin et cryptomonnaies pour les nuls, 2e éd., First, 2021, passim).

Les grandes étapes de la crypto

En septembre 2020, nous sommes douze ans après les premiers travaux de l’énigmatique Satoshi Nakamoto visant à créer ex-nihilo un nouveau système d’échange de monnaie (le 31 octobre 2008), et moins de onze ans et demi après la publication de son « white paper » qui le théorise et en fixe le cadre, et la publication des 30.000 premières lignes de codes qui marquent les conditions du début de la production de bitcoins (le 3 janvier 2009). Un peu plus de onze ans, donc, après les premières opérations de minage d’une cryptomonnaie et l’activation de la première blockchain.

Dix ans et demi après le tout premier achat réalisé en bitcoin par Laszlo Hanyecz (le 22 mai 2010) auprès d’un téméraire pizzaiolo : deux pizzas livrées à domicile – dont la valeur globale a été conventionnellement fixée par les parties à 25$ – au prix de 10.000 bitcoins (ce qui au passage mettrait chacune des deux pizzas, au cours actuel du bitcoin, au modeste prix de 210 millions de dollars). Dix ans et demi, donc, après le premier cours connu du bitcoin (0,0025$) et, plus fondamentalement pour nous juristes, après la toute première emptio-venditio de la crypto-ère !

Dix ans et demi après la création de la première plateforme d’échange de cryptomonnaie (en l’occurrence de bitcoins, seule cryptomonnaie alors existante) : l’ « exchange » Bitcoinmarket.com (le 17 mars 2010), immédiatement suivi de Mt. Gox (mi-2010). Et neuf ans et demi après ce moment surréaliste où le bitcoin, parti de nulle part, a atteint la parité avec la monnaie « réelle » de référence, le dollar (le 9 février 2011).

En septembre 2020, nous sommes huit ans après le lancement de Coinbase (en 2012), l’exchange de référence qui suivra le crash de Mt. Gox, et de cette autre plateforme d’exchange, Kraken, l’un et l’autre précurseurs des actuelles places de marché d’un genre totalement nouveau, puisque reposant sur du trading de jetons de cryptomonnaies et non plus d’actions de sociétés.

Six ans et demi après la première ICO (« Initial Coin Offering ») mise en œuvre pour le lancement du protocole Ethereum de Vitalik Buterin (en janvier 2014), et cinq ans avant la mise en vente des premiers Ether (le 30 juillet 2015) et l’exécution des premiers « smart contacts » sur cette blockchain.

Nous sommes six ans avant la création du premier « stablecoin » par la société Tether (en 2014) : l’USDT.

Cinq ans et demi avant que Coinbase devienne la première plateforme d’exchange dotée de toutes les autorisations légales pour opérer aux Etats-Unis (le 26 janvier 2015).

Trois ans avant la création de Binance (en juillet 2017), plateforme d’exchange qui deviendra la première d’entre toutes, en termes de capitalisation, dès le mois d’avril 2018 (entre 10 et 15 milliards d’euros de transactions y sont aujourd’hui réalisés quotidiennement).

A la date de la publication de la Proposition de règlement, le 24 septembre 2020 donc, il existe plus de 4.000 cryptomonnaies – altcoins et tokens (elles sont environ 4.500 aujourd’hui). La capitalisation boursière mondiale des cryptomonnaies tourne alors autour des 400 milliards de dollars.

A cette même date, nous sommes quatre mois avant l’introduction de Coinbase au Nasdaq (en janvier 2021), et quatorze mois avant le cours record du bitcoin à plus de 68.000$ (le 9 novembre 2021) et le passage de la barre des 3.000 milliards de dollars de capitalisation mondiale (actuellement, la capitalisation avoisine les 2.000 milliards).

En route pour la régulation

Au mois de septembre 2020, donc, les décideurs européens expriment distinctement la volonté de positionner l’Europe comme acteur majeur de cette nouvelle économie. Ils entendent se prémunir contre tout futur procès en attentisme ou en négligence. L’Europe n’a pas su prendre le train de l’internet natif et du web 2.0 ? Qu’à cela ne tienne ! Il ne sera pas dit qu’elle aura également manqué celui de la révolution de la finance numérique et du web 3.0 !

Les déclarations de principes sont enflammées, puisqu’au titre des objectifs de la Proposition figure la nécessité affichée que « le cadre réglementaire de l’Union applicable aux services financiers soit propice à l’innovation et n’entrave pas l’utilisation de nouvelles technologies ». L’Europe se montre consciente de la spécificité du sous-jacent technologique novateur sur lequel reposent les crypto-actifs, et plus généralement la finance décentralisée (DeFi), à savoir la technologie des registres distribués (DLT).

Au final, quatre objectifs – liés entre eux nous dit-on – sont dégagés par la Proposition : 1° assurer la sécurité juridique, par la mise en place d’un cadre juridique solide applicable aux crypto-actifs non couverts par la législation existante sur les services financiers ; 2° soutenir l’innovation, nécessaire à la promotion du développement des crypto-actifs et élargir l’utilisation de la DLT ; 3° dégager les niveaux appropriés de protection des consommateurs et des investisseurs, et assurer l’intégrité du marché contre les risques attachés aux crypto-actifs non couverts par l’actuelle législation sur les services financiers ; 4° garantir la stabilité financière face à la montée en puissance des stablecoins.

Liberté technologique vs contrainte étatique

Mais le plus important à retenir, pourrait-on dire, c’est que la Proposition préconise que « la législation existante ne fasse pas obstacle à l’adoption de nouvelles technologies ». La formule est certes rassurante, mais ne lève pas les incertitudes, bien au contraire.

Car réglementation, régulation, sécurité juridique, maîtrise des risques ne peuvent pleinement laisser libre cours aux innovations. Où l’on voit que le projet de texte européen contient en son sein une contradiction profonde entre des termes largement inconciliables dont il ne parvient pas à s’affranchir, puisqu’à l’objectif (« libérer et renforcer encore davantage le potentiel que la finance numérique peut offrir sur le plan de l’innovation et de la concurrence ») sont immédiatement accolées une limite et une contrainte, pour ne pas dire une menace sur l’avenir des crypto-technologies (« limiter les risques » de cette nouvelle économie numérique, notamment « la fraude, les cyberattaques ou les manipulations de marché », à l’égard des consommateurs et investisseurs).

Finalement, le sort de la crypto-finance, et d’ailleurs plus généralement du crypto-commerce, en croissance exponentielle et riche de potentialités à peine encore devinées, est désormais, pour ce qui concerne le territoire de l’Union (dans tous les cas le reste du monde fera bien son affaire sans nous), entre les mains du législateur européen, qui aura à planter son curseur, quelque part, dans la vaste plaine des contraires où s’ébattent à la fois libéralisme, voire libertarisme, et contrôle paternaliste, voire inquisitorial. Du choix qu’il fera dépendra la place conservée à l’audace, à l’innovation et aux changements de paradigmes.

Le juste milieu entre liberté décomplexée et contrainte tatillonne ou bloquante ne sera pas simple à trouver. Il fera des déçus, même si les plus optimistes diront toujours que réguler, c’est en somme valider. Ce qui a sa part de vérité.

Quel cadre pour la crypto-finance européenne ?

Dans sa lettre de mission du 10 septembre 2019, la Présidente de la Commission l’avait déjà annoncé : tirer le meilleur parti des cryptomonnaies tout en parant aux nouveaux risques qu’elles peuvent poser, tel est l’objectif. On imagine sans peine la bataille des idéologies qu’augure une telle feuille de route.

Il n’aura d’ailleurs pas fallu attendre bien longtemps pour que les premières tensions et inquiétudes pointent, et même que les premières indignations et moqueries fusent. Ce mouvement éruptif qui vient d’agiter la cryptosphère en ce début de mois de mars 2022, au gré des quelques déclarations et rumeurs qui ont récemment entouré les travaux relatifs à l’élaboration du Règlement MiCA, est symptomatique de la lutte que se livrent déjà les intérêts contraires en présence.

Nous relaterons brièvement cet épisode dans une prochaine chronique (MiCA #4). Préalablement, nous soulignerons que la Proposition de règlement consacre des notions qui relevaient, jusqu’à il y a peu encore, d’un langage métajuridique (MiCA #2), et préciserons schématiquement les principales thématiques qu’aborde le projet de règlement (MiCA #3).