Nomen, notions, concepts – Ex facto jus oritur, ou le passage du fait au droit

La Proposition de règlement décline certaines notions nées hors du droit, dans l’univers purement factuel et technologique de la communauté des programmeurs et développeurs. Ces notions entrent progressivement par la grande porte dans l’univers du discours juridique. La Proposition de règlement MiCA accentue encore le mouvement.
Les principaux nomen de la Proposition de règlement
Les instances européennes, comme il a été vu, se montrent conscientes de la spécificité du sous-jacent technologique novateur sur lequel reposent les crypto-actifs, et plus généralement la finance décentralisée (DeFi). Car, en effet, expose la Proposition de règlement, les « crypto-actifs sont l’une des principales applications de la technologie de la chaîne de blocs dans le domaine financier ».
Le mot magique est lâché : chaîne de blocs, ou blockchain. Ce protocole informatique et numérique crypté est la matrice de la finance de demain. Et de bien d’autres applications encore, qui irrigueront le commerce adossé au Web 3.0. Les instances européennes le savent. Elles ont suffisamment été alertés par l’Autorité bancaire européenne (ABE) et l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) de la « forte hausse de la capitalisation boursière des crypto-actifs en 2017 », rappelle la Proposition. Et aussi, ne soyons pas dupe, des menaces que cette finance numérique décentralisée pourrait rapidement faire peser sur la finance classique. Or, cette nouvelle économie repose toute entière sur un écosystème regroupant une multiplicité de blockchains.
Quoi qu’il en soit, le terme « blockchain » est passé du langage des « crypto-geeks » et autres « cypherpunks » à celui, châtié, du lexique de l’Union européenne. Preuve de la maturité de la notion. Satoshi aurait-il pu l’imaginer en 2008 ?
A ce stade, on constatera que la notion de blockchain n’est pas définie par la Proposition. Probablement, une définition émergera un jour prochain dans la législation européenne. Ou des définitions, possiblement, car la notion de blockchain n’est pas univoque. Déjà, parce qu’une chaine de blocs peut schématiquement être publique (« permissionless »), et donc pleinement décentralisée, être autorisée (« permissionned ») ou être totalement privée, et donc fermée et centralisée bien que partagée entre quelques participants. Ensuite, parce qu’une blockchain peut être unitaire et linéaire, reposer sur une intrication de chaines de blocs comme dans le projet de « Chainweb » de Kadena, et/ou fonctionner en couches superposées (layers), avec une blockchain principale et une blockchain secondaire, une « sidechain », qui présente ses propres spécificités (comme c’est par exemple le cas de « Kuro », qui travaillera en layer 2 combiné au layer 1 « Chainweb » dans le projet Kadena.

La Proposition consacre d’autres notions bien connues à la fois des crypto-geeks en T-shirts, des « DeFiers » en sweats noirs et des financiers les plus décravatés. A commencer par celle de stablecoins, que la Proposition traduit par « jetons de valeur stable ». Tout en reconnaissant, en septembre 2020, que « si le marché des crypto-actifs demeure de taille modeste et ne constitue pas actuellement une menace pour la stabilité financière », les institutions européennes alertent : sous l’angle des stablecoins, et plus particulièrement des « jetons de valeur stable de niveau mondial (global stablecoins) », la « situation pourrait évoluer » au point de porter atteinte à la stabilité financière. Bigre !
Token et DLT font également leur apparition, puisque le but des travaux initiés par la Proposition est d’ « instaurer un cadre européen qui permette à la fois la création de marchés de crypto-actifs, la tokénisation des actifs financiers traditionnels et un recours plus massif à la DLT dans les services financiers ». Ce qui, au passage, selon les instances européennes, implique d’élargir la notion d’instrument financier afin d’y englober ceux d’entre eux qui, précisément, reposent sur cette « DLT », et de mettre en place un régime pilote pour les infrastructures de marché qui reposent sur la « DLT ».
Quelques mots d’explication s’imposent.
Le « token » n’est rien autre qu’un jeton dématérialisé qui représente les droits, ou une fraction d’entre eux, dont un individu peut disposer sur un crypto-actif sous-jacent, et qui garantit à chaque instant la part de droits et de valeur qu’il détient dans ledit actif, sa titularité exclusive en tant que propriétaire du jeton et l’origine de cette titularité. En somme, c’est une unité de valeur numérique authentifiable et traçable, bien qu’anonymisée car cryptée.
L’archétype du token est celui que constitue chaque unité qui compose une cryptomonnaie : la monnaie Bitcoin (BTC) sera composée à terme de 21 millions de tokens, celle de Ripple (XRP) est déjà constituée de 100 milliards de tokens. Certaines, comme la monnaie de Binance (BNB), ont un nombre de tokens qui évolue entre un plancher et un plafond au gré des opérations de création ou de « burn » de jetons. Tout dépend du protocole défini par les créateurs dans leur white paper, cette charte initiale qui décline les paramètres du projet crypto-numérique envisagé.

Appliqué à une monnaie numérique, à une cryptomonnaie, donc à un crypto-actif, la « tokenisation » n’est autre que le processus qui permet, sur la blockchain qui la soutient, de fractionner l’actif qu’elle représente en une multiplicité de jetons afin de lui conférer une liquidité et une négociabilité quasi parfaites.
En présence d’un token non fongible (un « non fungible token », donc, ou « NFT »), l’opération de tokenisation tend à remplir la même fonction, mais selon des modalités différentes, adaptées à la spécificité de l’actif sous-jacent : l’idée est de rendre l’actif plus liquide et de renforcer sa négociabilité en l’incarnant en un jeton numérique qui exprimera sa valeur, soutiendra sa singularité et son absence de réplicabilité, et garantira son authenticité en faisant de lui un bien pleinement singulier. Un « corps certain crypto-numérique », en somme, à la titularité indiscutable.

L’écosystème assis sur les blockchains, fait-on observer, rend possible pas moins que la « tokenisation de l’économie », ou à tout le moins d’un pan de celle-ci, via un processus de digitalisation de valeurs que l’économie numérique permet aujourd’hui de déployer avec facilité (v. par ex. D. Legeais, Blockchain et actifs numériques, 2e éd., LexisNexis, 2021, n° 15 et s., p. 8 et s. ; sur la tokenisation dans le domaine des « actifs numériques », v. du même auteur Juriscl. Banque et Bourse, Fasc. 535, Actifs numériques et prestataires sur actifs numériques, 2019, n° 6 et s.).
La « DLT » est l’acronyme de technologie de registres distribués (« Distributed Ledger Technology »). Au sens de la notion exposée par la Proposition de règlement, un registre distribué est une base de données décentralisée gérée par plusieurs participants, dans laquelle l’historique des transactions est enregistré par une pluralité d’acteurs (en l’occurrence les mineurs). Ces derniers enregistrent et valident les transactions simultanément. Les enregistrements font l’objet d’un horodatage unique et d’une signature cryptographique qui garantit la sécurité et l’incorruptibilité des opérations et du réseau. La blockchain « open source », ou publique, n’en est qu’une variété particulière, même si elle constitue l’archétype du registre distribué (sur les différentes variétés de « DLT », on consultera avec intérêt D. Legeais, Blockchain et actifs numériques, n° 28 et 29, p. 18-19 et, par exemple, un bref article du Journal du coin, Les technologies de registres distribués (DLT).
Du nomen descriptif à la notion juridique consacrée
Les crypto-technologies et la finance décentralisée (DeFi) que ces technologies rendent possibles ont fait naître un nombre très important de termes techniques nouveaux. Il n’y a là que réitération d’un phénomène classique, qui se produit à chaque apparition d’une nouvelle technologie à fort impact qui induit de nouvelles activités et de nouveaux métiers. Ce fut le cas avec l’invention du moteur à vapeur puis à explosion qui nous fit entrer dans l’ère du machinisme, avec l’invention des microprocesseurs qui nous fit entrer dans l’ère informatique, et enfin plus récemment avec l’élaboration des protocoles informatiques de mise en réseau des ordinateurs qui nous éleva à l’ère d’internet. C’est indiscutablement le cas aujourd’hui avec l’avènement de l’écosystème des blockchains, dont les innovations et les potentialités économiques qu’il offre sont telles qu’on peut d’ores et déjà parler, sans risque de se tromper, de nouvelle ère, celle des crypto-technologies et de la décentralisation, et même de révolution. D’une révolution qui n’est peut-être pas moins qu’à la hauteur de la révolution industrielle elle-même, dont internet n’aura finalement été que le raffinement et l’aboutissement ultimes. L’avenir nous dira si la mise en perspective de ces deux époques et de ces deux types de technologies fait sens.
Logiquement, sous nos yeux, un nouveau langage se crée et un vocabulaire inédit foisonne et s’impose. Au point que des lexiques impressionnants ont fleuri, aussi bien au gré d’initiatives individuelles à visée de vulgarisation (notamment sur les nombreux sites consacrés à la « crypto » : par exemple sur bitcoin.fr, sur coinacademy.fr, sur cryptoast.fr, sur cryptoencyclopédie.com, etc., ou même sur des sites plus généralistes, comme celui de BFM Business) que d’initiatives plus officielles réalisées à des fins d’information prénormative, comme c’est le cas du « Glossaire Blockchain » édité par l’Unesco.
Quid facti, quid jus ?
La plupart des termes issus de la pratique de l’écosystème des crypto-technologies ont et conserveront le rang de simples nomen techniques, désignant un simple aspect technique, une fonction, un protocole, etc. D’autres, au contenu nécessairement plus normatif, seront possiblement élevés au rang de notions juridiques. Et quelques-unes d’entre elles deviendront peut-être les grands concepts juridiques de demain.

Ce processus de sélection se fera naturellement. Il ne sera pas simplement le résultat d’un choix législatif ou jurisprudentiel. Nul besoin de démiurge pour promouvoir le fait en droit. Car la maxime ex facto jus oritur exprime une réalité bien plus subtile qu’il n’y paraît (comp. Ch. Atias, Philosophie du droit, 4e éd., PUF, coll. Thémis, 2016, n° 79, p. 387). Le fait brut coexiste en effet inévitablement avec une réalité qui contient déjà en puissance ses extensions juridiques ; il n’appartiendra alors plus qu’à l’ordre juridique de s’en saisir pour les actualiser au gré des besoins que l’écosystème, d’une part, et l’ordre juridique, d’autre part, feront apparaître.
Nul doute que dans cette optique, le recours à l’analyse économique pourra s’avérer précieuse. Naturellement pas dans l’esprit de plaquer les critères exogènes d’une autre discipline sur ce biotope numérique qui existe aujourd’hui à l’état de nature, mais dans celui de capter ses réalités immanentes et d’informer ses virtualités avec une meilleure acuité (comp. Ejan Mackaay et alii, Analyse économique du droit, 3e éd., Dalloz, 2021, passim.).
Jus ex machina
L’heure des définitions a sonné. Et des justes définitions. On a de longue date fait observer, à l’époque de l’explosion de l’informatique et de l’internet naissant, que le développement de ces nouvelles activités techniques au champ lexical propre obligeait les juristes à une rigueur toute particulière (v. P. Catala, Le droit à l’épreuve du numérique – Jus ex machina, PUF, coll. Droit, Ethique, Société, 1998).
Dans cette œuvre définitionnelle, qui se veut par principe rigoureuse, des arbitrages pour partie conscients, pour partie inconscients vont intervenir. En première instance pour déterminer si un nomen du langage courant de l’écosystème des crypto-technologies dispose ou non d’une normativité immanente, et donc d’une profondeur de champ suffisante pourrait-on dire : dans l’affirmative, sa promotion au rang de concept juridique sera entendue ; dans le cas contraire, une autre notion lui sera préférée et il restera lui-même, tel qu’il est, utile pour décrire ce qu’il représente, mais inutile pour animer la réflexion et soutenir le raisonnement.

L’oscillation, l’ambivalence, l’incertitude et l’hésitation inhérentes aux premières heures de la conceptualisation d’un nouveau terrain d’exploration accompagnent inévitablement le mouvement de sélection ici à l’œuvre, l’un des plus naturels de la construction juridique. Ainsi, fait-on justement observer, « un mot emprunté au langage courant peut aboutir, par une série d’affinements, à un sens spécifique ou être évincé du langage juridique au profit d’un terme technique propre à celui-ci » (J.-L. Bergel, Théorie générale du droit, 5e éd., Dalloz, 2012, n° 209, p. 223). Ce mouvement de sélection, qui accueille et transforme le fait brut, ou au contraire l’ostracise, relève d’un donné métajuridique. A ce titre il est inexorable, implacable.
La catégorie des élus et celle des bannis laisse subsister un entre-deux, qui abrite les nomen « à charge faible » du langage courant. Ceux-là, tout en conservant leur extension technique, en acquerront une autre, conceptuelle celle-là, qui s’agrègera à la première. Ils sortiront indemnes de la sélection, mais ne seront que faiblement promus. Car, fait-on observer, « il arrive que l’on soit obligé de renoncer à toute définition face à des concepts purement qualitatifs qui se comprennent mieux qu’ils ne se définissent » (J.-L. Bergel, Théorie générale du droit, n° 211, p. 224). C’est finalement à l’importance ou à l’utilité de ce qu’ils représentent et signifient qu’ils devront leur passage du fait au droit, et non à leur aptitude à soutenir la pensée et à induire des solutions. Dans l’architecture juridique, ils seront brique, et non voûte.
Le spectre de la pensée et du discours juridiques se dévoile, qui oscille du fait brut à la définition stricte, en passant par les phénomènes statiques et dynamiques, les notions techniques, les notions juridiques simplement descriptives ou quantitatives à contenu défini, les notions juridiques souples à contenu variable et les concepts normatifs (comp. J.-L. Bergel, Théorie générale du droit, n° 277, p. 300-301). Ce spectre se retrouve de manière invariable lors de toute saisie des activités humaines par le droit. Il planait au-dessus de la conceptualisation juridique des phénomènes d’appropriation, de transfert de valeurs, de production d’œuvres de l’esprit, etc. Il sera encore présent pour l’intégration dans l’ordre juridique des données brutes propres aux crypto-technologies et à leurs multiples applications.
Au terme de ce mouvement, c’est un langage juridique spécifique qui apparaîtra. François Gény, par exemple, écrivait qu’au terme de ce processus émerge « une langue technique, s’appuyant à la langue commune, mais en précisant les termes ou les formes, parfois les dénaturant, au besoin même en changeant tout à fait l’application, de façon à obtenir un idiome spécialement adapté au but poursuivi, et qui finalement lui marque sa place distincte au milieu des confusions, des obscurités et des équivoques de la langue vulgaire » (Sciences et technique en droit privé positif, T. III, Rec. Sirey, 1921, n° 256).

Aujourd’hui, le dictionnaire qui sert de support à ce langage juridique spécifique est encore presque exclusivement composé de pages blanches. A nous désormais de les remplir. Ce qui ne va pas se faire sans de nouveaux arbitrages.
Logos sui generis ou logos classique ?
A ce stade, une question reste en suspens. Celle de savoir quel rapport les nouvelles notions techniques issues de l’univers « crypto », pour celles du moins qui ne sont pas que de simples hypostases, entretiendront avec les notions juridiques classiques.
Deux conceptions sont potentiellement envisageables : répondre à la très grande originalité de l’ « écosystème blockchain » en faisant table rase des notions et concepts juridiques traditionnels, ou au contraire les employer en les adaptant à la spécificité de ce sous-jacent très particulier.
La question est ouverte. La première option est certes incroyablement stimulante. Créer ex nihilo une véritable architecture juridique pour définir et régir un écosystème numérique sui generis, voilà une sacrée gageure. Mais ce serait ajouter une inconnue à une équation technologique déjà bien délicate à appréhender. Aussi la seconde option sera privilégiée par les prudents, mais également par les confiants, ceux qui pensent que la plasticité déjà éprouvée de l’ars juris permettra d’absorber la spécificité de ce nouvel écosystème.
Posant la question « quel droit pour la blockchain ? », le Professeur Dominique Legeais écrit par exemple à ce sujet : « Les liens de la blockchain et du droit sont à construire. C’est que la technologie s’est imposée en marge du système juridique (…) Les acteurs de la blockchain se donnent même pour ambition de reconstruire un droit parallèle exclusivement applicable à ce protocole et à ses créations (…) Il y aurait ainsi un corps de règles applicable au monde « fiat » et un système juridique applicable à l’écosystème blockchain. Mais ne s’agit-il pas simplement d’un changement d’appellation pour désigner les mêmes concepts ? On peut se poser la question. Les mécanismes juridiques forgés depuis des siècles ont fait leur preuve. Il semble illusoire de vouloir les remplacer. Tout au plus faut-il les adapter aux nouvelles technologies. Le système juridique a déjà à de nombreuses reprises montré sa faculté d’adaptation (…) L’évolution récente montre une volonté du législateur d’intégrer et de donner une valeur juridique à ces nouvelles créations issues de la technologie. Dans la majorité des cas, il semble donc préférable de tenter d’assimiler les nouveautés aux institutions et mécanismes existants plutôt que de tenter la rupture à tout prix » (in Blockchain et actifs numériques, n° 78, p. 50).

Il faut bien reconnaître qu’une construction juridique ex nihilo, détachée du corpus juridique classique, aussi stimulante soit-elle, risquerait de poser des problèmes insurmontables : en termes de compréhension, d’opérabilité ou d’incertitude judiciaire, et donc de prévisibilité. En outre, elle coexisterait inévitablement avec le discours juridique classique, tant il relève du réflexe reptilien de toujours rattacher sa pensée et son discours à des notions connues et éprouvées. Après tout, la blockchain publique, archétype des registres distribués, n’est-elle pas une « res nullius » d’un nouveau type ? Et le jeton non fongible (NFT), n’est-il pas avant tout un simple « corps certain » ? Ces notions juridiques, non pas simplement séculaires mais millénaires, conserveront assurément leur utilité pour décrire l’écosystème et l’intégrer dans un champ normatif. Deux exemples qui montrent au passage le processus classique de subsomption des faits et phénomènes sous des notions de référence inhérent à l’élaboration et à l’enrichissement du langage juridique (comp. J.-L. Bergel, Théorie générale du droit, n° 275, p. 298), processus auquel le donné technique de l’écosystème des crypto-technologies ne devrait pas échapper.
La difficulté liée à la coexistence de deux logos juridiques parallèles ne serait pas mince. Elle a déjà été soulignée : « Il apparaît difficilement réaliste de voir se côtoyer deux droits reposant sur des bases différentes » (D. Legeais, op. et loc. cit.).
En réalité, le sujet n’est pas là. Car personne ne peut réellement douter que les grandes notions juridiques, comme les classifications fondamentales trouveront à s’appliquer de manière très naturelle. La question est plutôt de savoir si les notions et catégories traditionnelles seront suffisantes pour embrasser l’intégralité du spectre de cet écosystème crypto-numérique. A ce point de vue, force est de considérer, à la lumière de l’incroyable spécificité de cet univers, que des nouvelles figures juridiques ne manqueront pas d’apparaître.
C’est finalement une troisième voie, hybride, qui vraisemblablement triomphera : de nouvelles notions, voire de nouvelles classifications viendront compléter et renforcer le corpus juridique classique. Toute la question est alors de savoir si les premières ne risquent pas faire perdre leur cohérence aux secondes.
Naturellement, ces interrogations se posent hors de la Proposition de règlement MiCA. Elles trouveront leurs réponses au gré des législations à venir. A ce titre, la Proposition de la Commission européenne et le futur règlement sur les marchés de crypto-actifs participent déjà, même modestement, à ce mouvement qui conduira à extirper de la nébuleuse actuelle les notions et concepts juridique de demain.

Au législateur européen comme aux législateurs nationaux se poseront d’autres questions, parmi lesquelles le choix entre la rigueur de la norme retenue ou sa relative souplesse. Car l’on sait qu’un texte précis « engendre la sécurité dans les relations juridiques mais peut étouffer la réalité de certaines situations individuelles », alors qu’un texte plus imprécis « confère moins de sécurité (…) mais permet au juge de dégager une solution mieux adaptée aux faits » (J.-L. Bergel, Théorie générale du droit, n° 212, p. 226). Il ne reste plus qu’à espérer que les uns et les autres opteront en conscience, et non par défaut.