L’Autorité des Marchés Financiers met à jour sa « doctrine » relative aux prestataires de services sur actifs numériques (PSAN)

Le 31 mai dernier, l’AMF a actualisé la « doctrine » relative au régime des prestataires de services sur actifs numériques qu’elle exprime à travers sa « position DOC-2020-07 », dans la dernière version qu’elle a appliquée du 7 juin 2021 au 30 mai 2022. Cette doctrine, qui prend la forme de questions-réponses, apporte des précisions sur les dispositions du Titre II relatif aux prestataires de services sur actifs numériques (art. 721-1 à 722-31) du Livre VII de son Règlement général, dont la dernière version est en vigueur depuis 20 mai dernier.
Cette actualisation n’emporte pas de bouleversements, mais propose quelques retouches ciblées à destination, notamment, des plateformes d’échanges (« decentralized Exchanges » ou « DEX ») qui opèrent dans le domaine des crypto-actifs. Sa mise à jour, indique-t-elle, est destinée à « tenir compte des évolutions dans les produits et les modèles d’affaires des acteurs du secteur ». D’apparence sibylline, la formule traduit bien l’attention que porte l’AMF à l’évolution de ce marché et sa volonté de corréler ses propres normes, qui éclairent les dispositions du chapitre du Code monétaire et financier consacré aux prestataires de services sur les actifs numériques (art. L. 54-10-1 à L. 54-10-5), au développement et à l’évolution des outils de la finance décentralisée (DeFi) et des services offerts par les plateformes d’échanges. Si cette mise à jour était programmée, gageons que la récente et toujours actuelle période de « bear market » des crypto-monnaies, dont le mouvement s’est trouvé décuplé par l’effet du krach du 12 mai 2022 lié à l’effondrement du tandem Terra (UST) / Luna, n’est pas totalement étrangère aux solutions retenues. Et qu’elle alimentera la vigilance de l’AMF dans un avenir proche. L’AMF rappelle d’ailleurs précautionneusement à l’occasion de sa mise à jour que « la position DOC-2020-07 conserve son caractère évolutif et pourra faire l’objet de mises à jour régulières, en fonction des questions soulevées par les acteurs ».

Comme l’indique l’AMF dans le communiqué qu’elle a publié le 1er juin sur son site internet, la mise à jour de sa doctrine a pour objet de préciser certaines dispositions de sa « position DOC-2020-07 », et d’en supprimer d’autres, jugées obsolètes (en l’occurrence des dispositions transitoires ou applicables antérieurement au 1er mai 2021). Seuls les apports de cette actualisation retiendront notre attention.
Les apports de la mise à jour
En premier lieu, l’AMF rappelle aux acteurs qui souhaitent s’enregistrer en tant que PSAN la nécessité de s’assurer que les actifs sur lesquels ils proposent des services sont bien des actifs numériques (au sens de l’article L. 54-10-1 du Code monétaire et financier évidemment).
Cette préconisation est inscrite sous la question 1.1 de la doctrine, qui précise au passage que la fongibilité d’un actif n’est pas un élément de sa qualification.
L’AMF reprend en filigrane la solution de l’article L. 54-10-1 selon laquelle sont exclues de la qualification d’actif numérique les représentations numériques d’une valeur qui possèdent « le statut juridique d’une monnaie », par définition fongible.
Au demeurant, cette exclusion n’est pas sans soulever quelques interrogations. Elle appellerait en effet que l’on s’interrogeât sur le statut des stablecoins. Mais également sur celui du bitcoin lui-même, qui dispose de tous les attributs d’une monnaie, à l’exception de son rattachement à une banque centrale et à un cours légal : le bitcoin est en effet une réserve de valeur tokenisée ; il constitue en outre un véritable moyen de paiement dans l’univers physique, qui se développe jour après jour, et repose sur une blockchain qui ne permet pas l’implémentation de smart contracts, et donc d’applications décentralisées (Dapps). Bref, son sous-jacent est exclusivement orienté vers sa fonction : celle d’être une véritable monnaie … ce que Satoshi Nakamono exposait du reste dans son « white paper », dont l’intitulé même ne trompe pas : « Bitcoin: A Peer-to-Peer Electronic Cash System »).

Pourtant, au sens de la législation, il n’est pas contesté que tout opérateur permettant l’échange de bitcoins ou de stablecoins offre bien au public des services sur des actifs numériques.
Un début de contradiction à résoudre, donc.
Pour revenir à notre mise à jour, la doctrine de l’AMF souligne, ce faisant, la nécessité que les prestataires assurent un suivi de la nature des actifs numériques sur lesquels portent les services qu’ils proposent, et ce tout au long de la fourniture de ces services. En visant sa question 2.1, l’AMF laisse entendre que l’actif numérique sur la base duquel les prestataires de services ont été enregistrés ou ont reçu l’agrément doit rester identique dans le temps, sauf à ce qu’une nouvelle demande d’enregistrement ou d’agrément soit déposée.
En deuxième lieu, l’AMF complète sa question 3.1 afin de préciser la notion de communication promotionnelle, laquelle permet de localiser un service sur actifs numériques sur le territoire français.
Afin de clarifier les situations dans lesquelles il doit être considéré que le PSAN prend une telle initiative, l’AMF précise que cette communication est considérée comme effectivement réalisée par le prestataire lorsqu’elle est diffusée à son initiative ou pour son compte par un tiers.
Cette précision se rapporte au champ d’application de l’enregistrement des prestataires de services sur actifs numériques, que l’article L. 54-10-3 du Code monétaire et financier impose aux prestataires « établis en France ou fournissant ces services en France » (à la différence de l’agrément, qui ne concerne que les prestataires établis en France : art. L. 54-10-5 CMF, doctrine, question 4.1). L’article 721-1-1, 3° du Règlement général de l’AMF prolonge cette disposition en posant le principe selon lequel fournit un service en France « le prestataire (qui) adresse une communication à caractère promotionnel, quel qu’en soit le support, à des clients résidant ou établis en France ».
L’AMF indique ensuite renforcer les critères de substance pris en compte pour l’agrément des PSAN, ce en exigeant l’utilisation d’une langue compréhensible pour les clients français sur les supports de communication et dans le cadre du traitement des réclamations adressées par ces derniers.
Cette exigence n’est guère problématique pour les opérateurs français, comme Coinhouse ou Just Mining par exemple, respectivement enregistrés comme PSAN auprès de l’AMF depuis les 17 mars 2020 et 11 mai 2021. Elle concerne surtout les opérateurs étrangers qui se développent à l’international, comme Binance qui, après avoir établi son siège européen à Paris, a obtenu son enregistrement comme PSAN le 4 mai 2022 (cf. la liste des PSAN enregistrés auprès de l’AMF).

En troisième lieu, l’AMF indique également que l’utilisation d’une interface de programme d’application (« Application Programming Interface » ou « API ») n’exclut pas la qualification du service de conservation d’actifs numériques ou d’autres services sur actifs numériques, si bien qu’une analyse au cas par cas des services concernés doit être menée. Ainsi, le fait de gérer les actifs d’un client par le biais de la mise à disposition de connexions « API » peut, selon les droits accordés, nécessiter un enregistrement. Tel sera notamment le cas lorsque le service en cause aura pour objet la « conservation pour le compte de tiers d’actifs numériques ou d’accès à des actifs numériques, le cas échéant sous la forme de clés cryptographiques privées, en vue de détenir, stocker et transférer des actifs numériques », pour reprendre l’hypothèse visée par l’article L. 54-10-2, 1° du Code monétaire et financier (v. égal. les articles 722-1 et suivants du Règlement général de l’AMF).
En quatrième lieu, enfin, l’AMF introduit une question 12.3, nouvelle, qui dénote la difficulté, et son embarras, à définir et à qualifier certaines opérations financières sur actifs numériques, en l’occurrence le « staking » et le « lending » de crypto-actifs.
La question posée est la suivante : une activité dite « d’engagement » ou de « staking » (qui consiste schématiquement à déléguer ou « louer » des crypto-monnaies auprès de validateurs d’une blockchain fonctionnant sur un schéma de validation de type « proof of stake » (PoS) en contrepartie de la perception d’un revenu passif), ou une activité de prêt d’actifs numériques ou « cryptolending » (qui consiste à mettre des crypto-monnaies à disposition d’un emprunteur qui les restituera à l’issue d’une certaine durée en contrepartie du versement d’intérêts), s’analyse-t-elle en la fourniture d’un service sur actifs numériques relevant des dispositions de l’article L. 54-10-2 du Code monétaire et financier et/ou d’un service de paiement au sens de l’article L. 314-1 du même code ?
Afin de résoudre cette difficulté de qualification, dont dépendent des exigences particulières d’enregistrement ou d’agrément, les acteurs qui souhaitent proposer à leurs clients de services leur permettant de participer à l’une ou l’autre de ces activités (staking / lending) sont désormais invités à mener une analyse juridique approfondie afin de déterminer si l’un des deux régimes précités (services sur actifs numériques / services de paiement), ou les deux, s’appliquent à leur activité.

Les acteurs non enregistrés dans le collimateur de l’AMF
On le constate, l’AMF suit de près l’évolution rapide du marché des crypto-actifs et observe les comportements des opérateurs sur ce marché. En adaptant régulièrement sa propre réglementation à l’état des lieux qu’elle dresse à intervalles tout aussi réguliers, l’AMF entend indirectement rappeler à l’ordre ceux des opérateurs qui, sans avoir été enregistrés comme PSAN, proposent des services sur actifs financiers à la clientèle française (v. par ex. Cryptoast, « PSAN : l’AMF publie de nouvelles conditions à respecter plus strictes »).

A la lumière du contexte actuel très contrasté du marché des crypto-actifs, pris entre le feu d’un développement incessant généré par les nombreuses forces vives de l’écosystème, d’un côté, et celui des réactions et interrogations des utilisateurs victimes du très récent krach du mois de mai, de l’autre, nul besoin d’être devin pour prédire que de prochaines mises à jour de la doctrine de l’AMF feront parler d’elles dans un futur relativement proche. Plus que jamais, l’AMF est sur le qui-vive.
Une réflexion sur « BREAKING NEWS #2 »