BREAKING NEWS #5

Conseil et Parlement européens adoptent un accord provisoire en vue de l’adoption définitive du règlement MiCA !

Cet accord provisoire entériné par le Conseil européen et le Parlement européen le 30 juin dernier s’inscrit dans le cadre du travail législatif qui prolonge la Proposition de règlement « sur les marchés de crypto-actifs » (dit « MiCA » pour « Markets in crypto-assets ») publiée par la Commission européenne le 24 septembre 2020.

Il accompagne l’accord provisoire conclu le 29 juin précédent entre le Conseil et le Parlement relatif à la refonte du règlement « Transfert de fonds » (« TFR »), qui concerne plus spécifiquement la question de la lutte contre blanchiment d’argent et le financement du terrorisme à l’occasion des transferts de crypto-actifs. C’était l’objet de notre Breaking News #4.

Bref rappel au sujet de « MiCA »

Ainsi qu’il a été vu dans notre article « Régulation – Règlement MiCA #1 : l’Europe à l’heure des enjeux de la crypto-finance », les autorités européennes entendent, à travers ce futur règlement, proposer un cadre juridique rassemblant les crypto-actifs non couverts par la législation existante sur les services financiers, les émetteurs de crypto-actifs et les prestataires de services sur crypto-actifs, et conciliant des objectifs partiellement hétérogènes :

d’un côté, soutenir l’innovation et le développement de la technologie des registres distribués (DLT), assurer la promotion du développement des crypto-actifs, et renforcer le potentiel offert par la finance numérique décentralisée (DeFi) sur le plan de l’innovation et de la concurrence ;

de l’autre, limiter les risques à l’égard des consommateurs et investisseurs, notamment du fait de la fraude, des cyberattaques, des manipulations de marché ou des atteintes à la stabilité financière ou monétaire que pourrait engendrer cette nouvelle économie numérique.

L’accord provisoire du 30 juin touche à des questions variées. Leur importance pour l’écosystème des crypto-technologies et pour les acteurs de la finance décentralisée invite à les exposer synthétiquement.

Une responsabilité des prestataires de services sur crypto-actifs affirmée

Partant du constat selon lequel les droits actuels des consommateurs sont très limités, notamment s’agissant des recours dont ils disposent, en particulier s’agissant des transactions réalisées en dehors de l’UE, l’accord provisoire précise que les nouvelles règles devront faire peser des exigences de protection fortes sur les prestataires de services sur crypto-actifs (les CASP, pour « crypto asset service providers »).

Ces derniers verront notamment leur responsabilité engagée en cas de perte de crypto-actifs appartenant aux investisseurs. Les prestataires semblent ainsi tenus d’une obligation de résultat qui frise même l’obligation de garantie : celle d’assurer l’intangibilité des actifs du client par devers toute défaillance opérationnelle (fait du prestataire), ainsi que toute opération de piratage et de hackage (fait du tiers). Ce faisant, le Conseil et le Parlement ouvrent très largement la porte aux futurs procès en responsabilité contractuelle.

Les conditions des futures actions en responsabilité sont précisées

Une responsabilité de tout opérateur sur le marché des crypto-actifs facilitée

L’accord provisoire annonce également que le règlement MiCA couvrira les cas d’abus de marché sur n’importe quel type de transaction ou de service, notamment en matière de manipulation de marché et de délit d’initié.

Un moyen de dire que la responsabilité de tout intervenant sur le marché des crypto-actifs pourra être engagée en pareilles circonstances.

Obligations déclaratives et exigences environnementales

L’accord provisoire prévoit que les acteurs du marché des crypto-actifs devront rendre publiques des informations permettant de préciser leur empreinte environnementale et climatique.

Le contenu, les méthodes et la présentation de ces informations seront définies par référence aux normes techniques et réglementaires que l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) élaborera pour tenir compte des principales incidences négatives que les différentes activités des acteurs du secteur peuvent avoir sur l’environnement et le climat.

La fin du suspens : l’absence d’interdiction de la « Proof of Work »

Inutile de rappeler le psychodrame qui avait agité la cryptosphère au cours du dernier trimestre de l’année 2021 et des premiers mois de l’année 2022, alors qu’il semblait que le Parlement européen s’engageait dans la voix de l’interdiction pure et simple des crypto-technologies reposant sur un système de validation par preuve de travail (PoW), condamnant ainsi sans autre forme de procès bitcoin et mineurs à quitter le navire européen.

La commission des affaires économiques et monétaires du Parlement avait heureusement fait retomber la pression à l’occasion du vote d’une résolution, le 14 mars 2022, écartant le principe de l’interdiction. Par ce vote, les parlementaires concernés, revenus à la raison, s’étaient contentés de demander à la Commission européenne de présenter aux députés, avant le 1er janvier 2025, « une proposition législative incluant dans le système de classification « dit taxonomie de l’UE pour les activités durables » toute activité de minage de crypto-actifs contribuant de façon substantielle au changement climatique ».

La prise en compte de critères environnementaux

C’est dans cette même veine que l’accord provisoire du 30 juin prévoit que la Commission européenne devra, dans les deux années à venir, fournir un rapport sur « l’impact environnemental des crypto-actifs et l’introduction de normes minimales de durabilité obligatoires concernant les mécanismes de consensus, notamment la preuve de travail ».

Avec les progrès réalisés ces dernières années sur un plan énergétique par les fermes de minage, la commercialisation et la production de bitcoins devraient avoir de beaux jours devant elles sur le continent de l’UE.

Il faut en tout état de cause reconnaître que l’interdiction pure et simple des protocoles fonctionnant sur la base d’un système de validation par preuve de travail aurait été totalement irraisonnée : outre le fait que de la preuve de travail conservera une utilité indéniable pour les applications qui requièrent une sécurité et une authentification absolues des opérations enregistrées sur la blockchain, des protocoles ingénieux, comme le projet de « Chainweb » de Kadena, sont aujourd’hui capables de proposer des systèmes qui, bien que reposant sur la « PoW », sont dotés d’une très haute scalabilité et se caractérisent, de ce fait, par une consommation énergétique faible. Leur interdiction de principe eût été incompréhensible.

Des stablecoins placés sous étroite surveillance

Conseil et Parlement font expressément référence aux « derniers événements sur les marchés des soi-disant « stablecoins » » pour rappeler les risques encourus par les investisseurs en l’absence de réglementation, tout comme « les impacts potentiels sur les autres crypto-actifs ».

C’est bien évidemment au « Terra » que les autorités européennes font allusion, le stablecoin algorythmique du protocole Luna, désigné sous l’acronyme « UST », à l’occasion de la crise de la deuxième semaine du mois de mai qui a conduit en quelques jours à peine à l’annihilation quasi complète de la valeur de l’un comme de l’autre de ces crypto-actifs, à la suite de la dé-collatéralisation (« de-peg ») du Terra par rapport à sa monnaie de référence, le dollar américain (sur cet épisode marquant pour la cryptosphère, v. par exemple Le Journal du coin). On sait également que le stablecoin algorythmique du protocole Tron, l’USDD, a dans la foulée suscité de réelles inquiétudes alors que des prémices de « de-peg » sont apparues au cours du mois de juin dernier, provoquant une baisse de l’altcoin Tron (TRX) (à ce sujet, v. par exemple cryptonaute.fr).

Des règles et ratios stricts pour les stablecoins

Aux termes de l’accord provisoire, Conseil et Parlement indiquent que le règlement MiCA exigera des émetteurs de stablecoins (qui devront obligatoirement être présents sur le territoire de l’UE), qu’ils constituent une réserve suffisamment liquide, avec un ratio de 1/1 et en partie sous forme de dépôts. Les stablecoins purement algorythmique seront en conséquence prohibés.

Il est également annoncé que les règles qui régiront le fonctionnement des réserves prévoiront également une « liquidité minimale adéquate » afin notamment que chaque détenteur de stablecoins puisse se faire rembourser « à tout moment et gratuitement » par l’émetteur.

L’accord prévoit en outre que tous les « stablecoins » seront supervisés par l’Autorité bancaire européenne (ABE).

Enfin, l’accord annonce la limitation du développement des jetons qui se réfèrent à un ou des actifs (les « asset-referenced tokens » ou « ART ») fondés sur une devise non européenne, utilisés en tant que moyen de paiement, dans le but de préserver la souveraineté monétaire européenne. Les émetteurs de ces jetons devront par ailleurs eux-aussi avoir leur siège au sein de l’UE afin de permettre une surveillance et un suivi appropriés des offres au public des jetons « ART ».

Les NFT exclus de la règlementation « MiCA »

L’accord provisoire précise que les jetons non fongibles (NFT), qui se distinguent des jetons « ART », seront exclus du champ d’application du règlement MiCA.

Présentés comme des « actifs numériques représentant des objets réels tels que des œuvres d’art, de la musique et des vidéos » (alors qu’ils offrent potentiellement bien d’autres figures, comme les tags de produits commerciaux, les droits de titularité de parcelles créées dans des métavers, les jetons issus de la tokenisation de certains biens immobiliers physiques, etc.), certains NFT pourraient néanmoins être soumis à la réglementation MiCA, indiquent le Conseil et le Parlement, dès lors qu’ils entreraient dans les catégories existantes de crypto-actifs (on pense ici aux NFT fractionnables).

La spécificité des NFT reconnue

Enfin, l’accord invite la Commission européenne, dans un délai de 18 mois, à préparer une évaluation complète et, si cela est jugé nécessaire, à évaluer la nécessité de proposer un régime réglementaire spécifique pour les NFT tout en pointant les risques que ce nouveau marché pourrait faire apparaître.

L’activité de prestataire de services sur crypto actifs soumise à autorisation

L’accord provisoire prévoit également que les prestataires de services sur crypto‑actifs (les CASP) auront besoin d’une autorisation pour exercer leurs activités au sein de l’UE. Cette autorisation sera délivrée dans chaque Etat membre par les autorités nationales dans un délai de trois mois à compter d’une demande conforme. En France, l’autorité en cause sera logiquement l’AMF.

L’accord introduit une distinction entre les CASP en visant spécifiquement « les plus grands prestataires de services sur crypto-actifs » (des critères et seuils devront donc être arrêtés pour les isoler des autres prestataires). Les autorités nationales, est-il indiqué, auront à transmettre régulièrement des informations pertinentes à l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) à leur sujet.

Un accord provisoire doté d’une simple valeur indicative

A ce stade, l’accord provisoire ne dispose d’aucune valeur normative. Il constitue en revanche une feuille de route claire qui alimentera le travail des instances européennes sur les aspects techniques et les dernières orientations du futur règlement, lequel devra in fine être soumis au vote du Parlement en séance plénière.

Bilan

Cet accord provisoire est plutôt encourageant. Il semble relativement équilibré alors que la période troublée que traverse actuellement l’écosystème des crypto-actifs aurait pu servir de prétexte aux autorités européennes pour durcir le ton. L’objectif reste le même : « soutenir l’innovation et l’adoption de nouvelles technologies financières tout en assurant un niveau approprié de protection des consommateurs et des investisseurs ». Or, le niveau de protection en question ne paraît avoir été monté d’un cran par rapport à l’étiage fixé par la Proposition de règlement du 24 septembre 2020.

Ainsi, l’interdiction des protocoles fondés sur la preuve de travail (PoW) n’est plus à l’ordre du jour. Le commerce et le minage de bitcoins pourront donc avoir lieu sur le territoire de l’Union européenne. La spécificité des NFT, qui est indéniable, est pour sa part reconnue et traitée comme telle.

Le compte à rebours est lancé en vue de l’adoption définitive du règlement MiCA

Encore faut-il demeurer prudent, car l’accord reste évasif et même muet sur certaines questions fondamentales. La DeFi et ses divers protocoles (lending, stacking, pools de liquidités, etc.) ne sont pour leur part pas évoqués dans le communiqué de presse du Conseil européen du 30 juin, ce qui semble confirmer l’idée initiale selon laquelle la finance décentralisée est placée hors du périmètre du règlement MiCA … qui a toutefois spécifiquement pour objet la « finance numérique ». L’ambiguïté des termes impressionne. Des clarifications devront être faites (v. par exemple l’analyse de l’accord publiée sur bitcoin.fr). On peut en toute hypothèse aisément imaginer qu’une réglementation ad’hoc portant sur la DeFI émergera, au plan européen ou au plan national.

En outre, le climat économique général, le cycle baissier actuel des crypto-monnaies, l’importance des moins-values enregistrées par de très nombreux investisseurs, les avatars et « scandales » qui ont émaillé le monde de la crypto-économie ces dernières semaines (Terra, Celsius, 3 Arrows Capital, BlockFi, etc.) peuvent toujours inviter les autorités européennes à réviser leurs lignes directrices. Le chemin est encore long jusqu’à la version définitive du règlement MiCA. Aussi l’écosystème des crypto-actifs a-t-il tout intérêt à se faire discret au cours des prochains mois et à se montrer en toutes circonstances sous son meilleur jour.

BREAKING NEWS #3

Le futur ex-député Pierre Person dépose à l’Assemblée nationale un rapport sur la crypto-finance qui vient prolonger le rapport d’information sur les monnaies virtuelles déposé le 30 janvier 2019

Le 8 juin dernier, le député Pierre Person, qui a annoncé ne pas se représenter à la députation pour la prochaine législature, a déposé un rapport « personnel » qui vient clore, au moins provisoirement, l’inlassable travail de promotion des crypto-actifs et de l’écosystème des crypto-technologies qu’il a mené aussi bien au sein de l’hémicycle qu’hors les murs.

Son intitulé : « Monnaies, banques et finance : vers une nouvelle ère crypto. Un enjeu de souveraineté et de compétitivité économique, financière et monétaire ». Orienté en grande partie vers la finance décentralisée (DeFI), il se veut très largement prospectif.

Dans son avant-propos, le député rappelle la rapide et constante évolution du secteur des crypto-actifs, pour ne pas dire sa fulgurance, et souligne le chemin parcouru en quelques années à peine : « En 2018, personne n’aurait pu présager les évolutions d’un secteur qui ne laissait voir en surface que de simples promesses sur des projets bien souvent bancals, à travers notamment les ICO (Initial Coin Offering). Initialement qualifiés de crypto-monnaies puis de crypto-actifs pour mieux correspondre à leurs aspects polymorphes, les jetons, indissociables de la blockchain, sont aujourd’hui plus que jamais pluriels. D’ores et déjà, nous pouvons dire que les définitions d’hier sont obsolètes. En 2022, se créent, sous nos yeux, les futurs actifs qui permettront demain le financement de l’économie réelle, le développement des places de marchés décentralisées plus accessibles et plus transparentes, l’émergence des nouvelles monnaies centrales et des banques commerciales autonomes ».

Dressant un tableau des mutations à venir, il appuie sur les conditions de leur réalisation, la volonté politique, dont il dénonce au passage la grande timidité : « La finance sera directement 3.0. Pas simplement numérique, car elle l’est déjà, mais décentralisée avec tous les défis, les risques et les opportunités que cela pourra engendrer. Toutefois, si « l’imagination est un avant-goût de ce que la vie nous réserve », reste que la volonté politique est nécessaire. À l’heure d’écrire ces lignes, le constat est simple. Nous en manquons ».

La volonté politique sera-t-elle au rendez-vous ?

Le rapport du député est découpé en quatre parties, denses et riches, qui se veulent à la fois synthétiques et analytiques.

PARTIE I – La décentralisation financière, une nouvelle donne en matière de régulation

PARTIE II – Un nouveau rapport à la valeur

PARTIE III – Souveraineté monétaire : entre rupture et continuité

PARTIE IV – La finance numérique de demain

Les bases de la finance décentralisée de demain sont désormais sur la table

Surtout, pourrait-on dire, il est entrecoupé de 22 propositions réparties en six rubriques. Ce faisant, le député Pierre Person laisse des lignes directrices à ses successeurs, pour ne pas dire une véritable feuille de route. En voici la synthèse.

Droit au compte

Proposition 1 : Supprimer la procédure de droit au compte dédiée aux acteurs crypto au profit de la procédure de droit commun.

Proposition 2 : Rendre systématique l’imposition d’une sanction pécuniaire, sous forme d’astreinte, lorsqu’un établissement de crédit attribué par la Banque de France en vertu du droit au compte ne se conforme pas à ses obligations.

Proposition 3 : Permettre aux acteurs enregistrés comme PSAN d’obtenir les services bancaires nécessaires à l’exercice et au développement de leurs activités. En parallèle, confier à l’ACPR la mission de contrôler la mise en œuvre régulière de ces services et, à défaut, d’imposer une mesure d’astreinte.

Proposition 4 : Approfondir les travaux engagés par le groupe de travail sur l’accès des PSAN aux comptes bancaires et, sur cette base, confier à l’ACPR le développement de lignes directrices à destination des établissements de crédit et des acteurs de l’écosystème des crypto-actifs.

Fiscalité

Proposition 5 : Instaurer un sursis d’imposition, limité à trois ans après l’opération faisant l’objet d’une imposition, pour les échanges d’actifs numériques réalisés par des entreprises et professionnels.

Proposition 6 : Instaurer un régime de faveur similaire au régime de l’apport[1]cession pour les apports d’actifs numériques à des sociétés traditionnelles.

Proposition 7 : Instaurer la possibilité, pour le contribuable, de reporter les moins-values sur cession d’actifs numériques sur les plus-values de même nature, jusqu’à trois ans après leur constatation.

Proposition 8 : Instaurer un régime fiscal similaire au régime des attributions gratuites d’actions (AGA) aux attributions gratuites d’actifs numériques (AGAN) réalisées par une entreprise émettrice de jetons à ses salariés. Proposition 9 : Repenser le système fiscal et déclaratif lié aux paiements en crypto[1]actifs afin de lever les frictions fiscales afférentes. Proposition 10 : Centraliser le traitement des dossiers relatifs aux crypto-actifs auprès d’équipes spécialisées au sein de la Direction générale des finances publiques.

Crypto-actifs et climat

Proposition 11 : Accroître le financement de nouvelles sources d’énergie renouvelable en favorisant les partenariats entre les producteurs d’énergie et les mineurs de crypto-actifs, afin d’utiliser les surplus d’énergie autrement perdus.

Proposition 12 : Interdire le minage professionnel de crypto-actifs à partir d’énergies carbonées et adapter la réglementation applicable aux droits à polluer afin de l’appliquer aux mineurs professionnels de crypto-actifs, en attribuant des crédits carbone à ceux participant au financement de nouvelles sources d’énergie renouvelable.

Jetons non fongibles (NFT)

Proposition 13 : En droit civil, définir de manière large la notion de jeton non fongible afin de donner un statut juridique à ces nouveaux objets numériques et les dissocier de la notion d’actif numérique. S’assurer de la juste traduction des usages futurs et du sous-jacent de ces jetons en droit positif.

Proposition 14 : Modifier la réglementation applicable à la propriété intellectuelle afin d’intégrer les jetons non fongibles comme nouveau support. Adapter le droit de la preuve et reconnaître la force probante d’une preuve inscrite dans la blockchain.

Proposition 15 : Organiser, de concert avec les sociétés de perception et de répartition des droits d’auteur, le ministère de la Culture et les représentants concernés, une politique de sensibilisation à l’égard des droits de propriété au sein de la technologie NFT et éduquer quant à la publication d’une œuvre sous ce format.

Proposition 16 : Fiscaliser les revenus tirés des jetons non fongibles selon le régime fiscal applicable à leurs sous-jacent et, en parallèle, instaurer un report d’imposition des plus-values générées à l’occasion d’un échange entre un jeton non fongible et un actif numérique.

Souveraineté monétaire

Proposition 17 : Favoriser le développement de stablecoins en euros privés afin de défendre la souveraineté monétaire européenne dans ce nouvel écosystème.

Proposition 18 : Émettre une MNBC (i. e. monnaie numérique de banque centrale) de gros, à destination des acteurs du système bancaire et financier, afin de compléter la modernisation des marchés financiers via la blockchain.

Proposition 19 : Émettre un euro numérique de détail, à destination de tous les particuliers et de toutes les entreprises, dont certains pré-requis auront fait l’objet, au préalable, d’une réflexion approfondie :

(i) Accessible partout et par tous, que l’on soit connecté au réseau centralisé ou non, que l’on soit équipé de matériel informatique ou non ;

(ii) Confidentiel s’agissant des données personnelles des citoyens, avec la possibilité d’identifier les personnes et les transactions dans le cadre de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, sous le contrôle d’une autorité administrative indépendante et d’une autorité judiciaire ;

(iii) Dont la structure repose sur les acteurs bancaires traditionnels afin que ces derniers puissent diffuser l’euro numérique à travers les différentes couches de la population et sans que cela ne crée un risque systémique pour la stabilité financière ;

(iv) Dont la structure permet de faire face aux risques de dysfonctionnements et d’attaques sur les smart-contracts chargés de collecter l’impôt – les services de l’État doivent monter en compétence d’un point de vue technique sur les possibilités offertes par la blockchain ; (v) Dont la structure permet de développer des applications innovantes relatives à la collecte de l’impôt et à la politique monétaire (monnaie hélicoptère).

Finance décentralisée

Proposition 20 : Modifier la réglementation applicable, actuelle et à venir, aux protocoles de finance décentralisée afin de développer un régime de « bac à sable », sous la supervision des autorités de régulation compétentes.

Proposition 21 : Organiser une comitologie publique à l’échelle européenne regroupant les acteurs de l’écosystème, les acteurs bancaires et financiers, les régulateurs et les autorités politiques afin de définir les lignes directrices d’une réglementation efficace et protectrice des utilisateurs, applicable aux entités de la finance décentralisée.

Proposition 22 : (i) Permettre aux DAO d’obtenir la personnalité juridique afin de reconnaitre leur existence juridique et leurs donner le pouvoir de nouer des relations contractuelles à l’instar d’autres personnes morales ; (ii) Développer un cadre réglementaire afin prendre en compte leur gouvernance, d’assurer leur stabilité financière notamment afin de protéger leurs membres et de garantir leur sécurité informatique.

L’Assemblée nationale à l’heure des crypto-actifs et de la DeFi

A travers son rapport, qui est le fruit de plusieurs années de constatations et de réflexions personnelles relatives à l’écosystème des crypto-technologies, le député Pierre Person propose une synthèse sérieuse et complète, met les choses à plat, fait litière des poncifs et caricatures, souligne les enjeux et bénéfices de cet écosystème encore adolescent, et fait un pari sur l’avenir. En cela, il n’est pas que le testament parlementaire d’un des principaux défenseurs de l’écosystème. Il est une véritable profession de foi, au sens noble du terme, qui transcendera le changement de législature à venir. Et qui donne tout son sens au mot politique.

BREAKING NEWS #2

L’Autorité des Marchés Financiers met à jour sa « doctrine » relative aux prestataires de services sur actifs numériques (PSAN)

Le 31 mai dernier, l’AMF a actualisé la « doctrine » relative au régime des prestataires de services sur actifs numériques qu’elle exprime à travers sa « position DOC-2020-07 », dans la dernière version qu’elle a appliquée du 7 juin 2021 au 30 mai 2022. Cette doctrine, qui prend la forme de questions-réponses, apporte des précisions sur les dispositions du Titre II relatif aux prestataires de services sur actifs numériques (art. 721-1 à 722-31) du Livre VII de son Règlement général, dont la dernière version est en vigueur depuis 20 mai dernier.

Cette actualisation n’emporte pas de bouleversements, mais propose quelques retouches ciblées à destination, notamment, des plateformes d’échanges (« decentralized Exchanges » ou « DEX ») qui opèrent dans le domaine des crypto-actifs. Sa mise à jour, indique-t-elle, est destinée à « tenir compte des évolutions dans les produits et les modèles d’affaires des acteurs du secteur ». D’apparence sibylline, la formule traduit bien l’attention que porte l’AMF à l’évolution de ce marché et sa volonté de corréler ses propres normes, qui éclairent les dispositions du chapitre du Code monétaire et financier consacré aux prestataires de services sur les actifs numériques (art. L. 54-10-1 à L. 54-10-5), au développement et à l’évolution des outils de la finance décentralisée (DeFi) et des services offerts par les plateformes d’échanges. Si cette mise à jour était programmée, gageons que la récente et toujours actuelle période de « bear market » des crypto-monnaies, dont le mouvement s’est trouvé décuplé par l’effet du krach du 12 mai 2022 lié à l’effondrement du tandem Terra (UST) / Luna, n’est pas totalement étrangère aux solutions retenues. Et qu’elle alimentera la vigilance de l’AMF dans un avenir proche. L’AMF rappelle d’ailleurs précautionneusement à l’occasion de sa mise à jour que « la position DOC-2020-07 conserve son caractère évolutif et pourra faire l’objet de mises à jour régulières, en fonction des questions soulevées par les acteurs ».

L’AMF met à jour sa doctrine relative aux PSAN

Comme l’indique l’AMF dans le communiqué qu’elle a publié le 1er juin sur son site internet, la mise à jour de sa doctrine a pour objet de préciser certaines dispositions de sa « position DOC-2020-07 », et d’en supprimer d’autres, jugées obsolètes (en l’occurrence des dispositions transitoires ou applicables antérieurement au 1er mai 2021). Seuls les apports de cette actualisation retiendront notre attention.

Les apports de la mise à jour

En premier lieu, l’AMF rappelle aux acteurs qui souhaitent s’enregistrer en tant que PSAN la nécessité de s’assurer que les actifs sur lesquels ils proposent des services sont bien des actifs numériques (au sens de l’article L. 54-10-1 du Code monétaire et financier évidemment).

Cette préconisation est inscrite sous la question 1.1 de la doctrine, qui précise au passage que la fongibilité d’un actif n’est pas un élément de sa qualification.

L’AMF reprend en filigrane la solution de l’article L. 54-10-1 selon laquelle sont exclues de la qualification d’actif numérique les représentations numériques d’une valeur qui possèdent « le statut juridique d’une monnaie », par définition fongible.

Au demeurant, cette exclusion n’est pas sans soulever quelques interrogations. Elle appellerait en effet que l’on s’interrogeât sur le statut des stablecoins. Mais également sur celui du bitcoin lui-même, qui dispose de tous les attributs d’une monnaie, à l’exception de son rattachement à une banque centrale et à un cours légal : le bitcoin est en effet une réserve de valeur tokenisée ; il constitue en outre un véritable moyen de paiement dans l’univers physique, qui se développe jour après jour, et repose sur une blockchain qui ne permet pas l’implémentation de smart contracts, et donc d’applications décentralisées (Dapps). Bref, son sous-jacent est exclusivement orienté vers sa fonction : celle d’être une véritable monnaie … ce que Satoshi Nakamono exposait du reste dans son « white paper », dont l’intitulé même ne trompe pas : « Bitcoin: A Peer-to-Peer Electronic Cash System »).

Le bitcoin dépasse-t-il la notion d’actif numérique ?

Pourtant, au sens de la législation, il n’est pas contesté que tout opérateur permettant l’échange de bitcoins ou de stablecoins offre bien au public des services sur des actifs numériques.

Un début de contradiction à résoudre, donc.

Pour revenir à notre mise à jour, la doctrine de l’AMF souligne, ce faisant, la nécessité que les prestataires assurent un suivi de la nature des actifs numériques sur lesquels portent les services qu’ils proposent, et ce tout au long de la fourniture de ces services. En visant sa question 2.1, l’AMF laisse entendre que l’actif numérique sur la base duquel les prestataires de services ont été enregistrés ou ont reçu l’agrément doit rester identique dans le temps, sauf à ce qu’une nouvelle demande d’enregistrement ou d’agrément soit déposée.

En deuxième lieu, l’AMF complète sa question 3.1 afin de préciser la notion de communication promotionnelle, laquelle permet de localiser un service sur actifs numériques sur le territoire français.

Afin de clarifier les situations dans lesquelles il doit être considéré que le PSAN prend une telle initiative, l’AMF précise que cette communication est considérée comme effectivement réalisée par le prestataire lorsqu’elle est diffusée à son initiative ou pour son compte par un tiers.

Cette précision se rapporte au champ d’application de l’enregistrement des prestataires de services sur actifs numériques, que l’article L. 54-10-3 du Code monétaire et financier impose aux prestataires « établis en France ou fournissant ces services en France » (à la différence de l’agrément, qui ne concerne que les prestataires établis en France : art. L. 54-10-5 CMF, doctrine, question 4.1). L’article 721-1-1, 3° du Règlement général de l’AMF prolonge cette disposition en posant le principe selon lequel fournit un service en France « le prestataire (qui) adresse une communication à caractère promotionnel, quel qu’en soit le support, à des clients résidant ou établis en France ».

L’AMF indique ensuite renforcer les critères de substance pris en compte pour l’agrément des PSAN, ce en exigeant l’utilisation d’une langue compréhensible pour les clients français sur les supports de communication et dans le cadre du traitement des réclamations adressées par ces derniers.

Cette exigence n’est guère problématique pour les opérateurs français, comme Coinhouse ou Just Mining par exemple, respectivement enregistrés comme PSAN auprès de l’AMF depuis les 17 mars 2020 et 11 mai 2021. Elle concerne surtout les opérateurs étrangers qui se développent à l’international, comme Binance qui, après avoir établi son siège européen à Paris, a obtenu son enregistrement comme PSAN le 4 mai 2022 (cf. la liste des PSAN enregistrés auprès de l’AMF).

L’enregistrement des PSAN par l’AMF

En troisième lieu, l’AMF indique également que l’utilisation d’une interface de programme d’application (« Application Programming Interface » ou « API ») n’exclut pas la qualification du service de conservation d’actifs numériques ou d’autres services sur actifs numériques, si bien qu’une analyse au cas par cas des services concernés doit être menée. Ainsi, le fait de gérer les actifs d’un client par le biais de la mise à disposition de connexions « API » peut, selon les droits accordés, nécessiter un enregistrement. Tel sera notamment le cas lorsque le service en cause aura pour objet la « conservation pour le compte de tiers d’actifs numériques ou d’accès à des actifs numériques, le cas échéant sous la forme de clés cryptographiques privées, en vue de détenir, stocker et transférer des actifs numériques », pour reprendre l’hypothèse visée par l’article L. 54-10-2, 1° du Code monétaire et financier (v. égal. les articles 722-1 et suivants du Règlement général de l’AMF).

En quatrième lieu, enfin, l’AMF introduit une question 12.3, nouvelle, qui dénote la difficulté, et son embarras, à définir et à qualifier certaines opérations financières sur actifs numériques, en l’occurrence le « staking » et le « lending » de crypto-actifs.

La question posée est la suivante : une activité dite « d’engagement » ou de « staking » (qui consiste schématiquement à déléguer ou « louer » des crypto-monnaies auprès de validateurs d’une blockchain fonctionnant sur un schéma de validation de type « proof of stake » (PoS) en contrepartie de la perception d’un revenu passif), ou une activité de prêt d’actifs numériques ou « cryptolending » (qui consiste à mettre des crypto-monnaies à disposition d’un emprunteur qui les restituera à l’issue d’une certaine durée en contrepartie du versement d’intérêts), s’analyse-t-elle en la fourniture d’un service sur actifs numériques relevant des dispositions de l’article L. 54-10-2 du Code monétaire et financier et/ou d’un service de paiement au sens de l’article L. 314-1 du même code ?

Afin de résoudre cette difficulté de qualification, dont dépendent des exigences particulières d’enregistrement ou d’agrément, les acteurs qui souhaitent proposer à leurs clients de services leur permettant de participer à l’une ou l’autre de ces activités (staking / lending) sont désormais invités à mener une analyse juridique approfondie afin de déterminer si l’un des deux régimes précités (services sur actifs numériques / services de paiement), ou les deux, s’appliquent à leur activité.

La réglementation relative aux PSAN à l’épreuve de la qualification des services sur actifs numériques

Les acteurs non enregistrés dans le collimateur de l’AMF

On le constate, l’AMF suit de près l’évolution rapide du marché des crypto-actifs et observe les comportements des opérateurs sur ce marché. En adaptant régulièrement sa propre réglementation à l’état des lieux qu’elle dresse à intervalles tout aussi réguliers, l’AMF entend indirectement rappeler à l’ordre ceux des opérateurs qui, sans avoir été enregistrés comme PSAN, proposent des services sur actifs financiers à la clientèle française (v. par ex. Cryptoast, « PSAN : l’AMF publie de nouvelles conditions à respecter plus strictes »).

Les PSAN « de fait » dans le viseur de l’Autorité des Marchés Financiers

A la lumière du contexte actuel très contrasté du marché des crypto-actifs, pris entre le feu d’un développement incessant généré par les nombreuses forces vives de l’écosystème, d’un côté, et celui des réactions et interrogations des utilisateurs victimes du très récent krach du mois de mai, de l’autre, nul besoin d’être devin pour prédire que de prochaines mises à jour de la doctrine de l’AMF feront parler d’elles dans un futur relativement proche. Plus que jamais, l’AMF est sur le qui-vive.

Régulation – Règlement MiCA #1

L’Europe à l’heure des enjeux de la crypto-finance

Le 24 septembre 2020, la Commission européenne rend publique une Proposition de règlement « sur les marchés de crypto-actifs », règlement que les spécialistes connaissent sous le doux nom de « MiCA », pour « Markets in crypto-assets ». Elle suit de quelques jours le dépôt d’un rapport contenant des recommandations faites à la Commission sur les questions de la « finance numérique » et, en particulier, des « risques émergents liés aux crypto-actifs », rapport qui conduira à l’adoption d’une résolution par le Parlement européen le 8 octobre 2020.

L’Europe à l’heure des cryptomonnaies

Les instances européennes souhaitent à l’évidence ne pas passer à côté de cette nouvelle économie numérique, tant le greffon est déjà devenu une jeune et fringante sapinière. Il s’agit d’éviter d’effectuer un tout-droit à l’heure où le virage de la finance numérique et du web 3.0 approche à grande vitesse.

En 2020, donc, les décideurs européens ne se laissent pas détourner de leur objectif par la pandémie qui occupe tous les esprits. Et l’objectif est le suivant : « adapter l’Europe à l’ère du numérique ». Mais pas seulement. Car il faut que l’Europe « embrasse la révolution numérique et en devienne le fer de lance avec l’aide de sociétés européennes innovantes ». Les ambitions affichées ne sont pas minces.

Sont-elles précoces ? Sont-elles tardives ? Pour s’en faire une idée, il peut être utile de replacer le moment particulier de cette initiative européenne dans l’histoire – inévitablement récente – des cryptomonnaies (D. Ichbiah et J.-M. Lefranc retracent avec simplicité les principales étapes de cette genèse, in Bitcoin et cryptomonnaies pour les nuls, 2e éd., First, 2021, passim).

Les grandes étapes de la crypto

En septembre 2020, nous sommes douze ans après les premiers travaux de l’énigmatique Satoshi Nakamoto visant à créer ex-nihilo un nouveau système d’échange de monnaie (le 31 octobre 2008), et moins de onze ans et demi après la publication de son « white paper » qui le théorise et en fixe le cadre, et la publication des 30.000 premières lignes de codes qui marquent les conditions du début de la production de bitcoins (le 3 janvier 2009). Un peu plus de onze ans, donc, après les premières opérations de minage d’une cryptomonnaie et l’activation de la première blockchain.

Dix ans et demi après le tout premier achat réalisé en bitcoin par Laszlo Hanyecz (le 22 mai 2010) auprès d’un téméraire pizzaiolo : deux pizzas livrées à domicile – dont la valeur globale a été conventionnellement fixée par les parties à 25$ – au prix de 10.000 bitcoins (ce qui au passage mettrait chacune des deux pizzas, au cours actuel du bitcoin, au modeste prix de 210 millions de dollars). Dix ans et demi, donc, après le premier cours connu du bitcoin (0,0025$) et, plus fondamentalement pour nous juristes, après la toute première emptio-venditio de la crypto-ère !

Dix ans et demi après la création de la première plateforme d’échange de cryptomonnaie (en l’occurrence de bitcoins, seule cryptomonnaie alors existante) : l’ « exchange » Bitcoinmarket.com (le 17 mars 2010), immédiatement suivi de Mt. Gox (mi-2010). Et neuf ans et demi après ce moment surréaliste où le bitcoin, parti de nulle part, a atteint la parité avec la monnaie « réelle » de référence, le dollar (le 9 février 2011).

En septembre 2020, nous sommes huit ans après le lancement de Coinbase (en 2012), l’exchange de référence qui suivra le crash de Mt. Gox, et de cette autre plateforme d’exchange, Kraken, l’un et l’autre précurseurs des actuelles places de marché d’un genre totalement nouveau, puisque reposant sur du trading de jetons de cryptomonnaies et non plus d’actions de sociétés.

Six ans et demi après la première ICO (« Initial Coin Offering ») mise en œuvre pour le lancement du protocole Ethereum de Vitalik Buterin (en janvier 2014), et cinq ans avant la mise en vente des premiers Ether (le 30 juillet 2015) et l’exécution des premiers « smart contacts » sur cette blockchain.

Nous sommes six ans avant la création du premier « stablecoin » par la société Tether (en 2014) : l’USDT.

Cinq ans et demi avant que Coinbase devienne la première plateforme d’exchange dotée de toutes les autorisations légales pour opérer aux Etats-Unis (le 26 janvier 2015).

Trois ans avant la création de Binance (en juillet 2017), plateforme d’exchange qui deviendra la première d’entre toutes, en termes de capitalisation, dès le mois d’avril 2018 (entre 10 et 15 milliards d’euros de transactions y sont aujourd’hui réalisés quotidiennement).

A la date de la publication de la Proposition de règlement, le 24 septembre 2020 donc, il existe plus de 4.000 cryptomonnaies – altcoins et tokens (elles sont environ 4.500 aujourd’hui). La capitalisation boursière mondiale des cryptomonnaies tourne alors autour des 400 milliards de dollars.

A cette même date, nous sommes quatre mois avant l’introduction de Coinbase au Nasdaq (en janvier 2021), et quatorze mois avant le cours record du bitcoin à plus de 68.000$ (le 9 novembre 2021) et le passage de la barre des 3.000 milliards de dollars de capitalisation mondiale (actuellement, la capitalisation avoisine les 2.000 milliards).

En route pour la régulation

Au mois de septembre 2020, donc, les décideurs européens expriment distinctement la volonté de positionner l’Europe comme acteur majeur de cette nouvelle économie. Ils entendent se prémunir contre tout futur procès en attentisme ou en négligence. L’Europe n’a pas su prendre le train de l’internet natif et du web 2.0 ? Qu’à cela ne tienne ! Il ne sera pas dit qu’elle aura également manqué celui de la révolution de la finance numérique et du web 3.0 !

Les déclarations de principes sont enflammées, puisqu’au titre des objectifs de la Proposition figure la nécessité affichée que « le cadre réglementaire de l’Union applicable aux services financiers soit propice à l’innovation et n’entrave pas l’utilisation de nouvelles technologies ». L’Europe se montre consciente de la spécificité du sous-jacent technologique novateur sur lequel reposent les crypto-actifs, et plus généralement la finance décentralisée (DeFi), à savoir la technologie des registres distribués (DLT).

Au final, quatre objectifs – liés entre eux nous dit-on – sont dégagés par la Proposition : 1° assurer la sécurité juridique, par la mise en place d’un cadre juridique solide applicable aux crypto-actifs non couverts par la législation existante sur les services financiers ; 2° soutenir l’innovation, nécessaire à la promotion du développement des crypto-actifs et élargir l’utilisation de la DLT ; 3° dégager les niveaux appropriés de protection des consommateurs et des investisseurs, et assurer l’intégrité du marché contre les risques attachés aux crypto-actifs non couverts par l’actuelle législation sur les services financiers ; 4° garantir la stabilité financière face à la montée en puissance des stablecoins.

Liberté technologique vs contrainte étatique

Mais le plus important à retenir, pourrait-on dire, c’est que la Proposition préconise que « la législation existante ne fasse pas obstacle à l’adoption de nouvelles technologies ». La formule est certes rassurante, mais ne lève pas les incertitudes, bien au contraire.

Car réglementation, régulation, sécurité juridique, maîtrise des risques ne peuvent pleinement laisser libre cours aux innovations. Où l’on voit que le projet de texte européen contient en son sein une contradiction profonde entre des termes largement inconciliables dont il ne parvient pas à s’affranchir, puisqu’à l’objectif (« libérer et renforcer encore davantage le potentiel que la finance numérique peut offrir sur le plan de l’innovation et de la concurrence ») sont immédiatement accolées une limite et une contrainte, pour ne pas dire une menace sur l’avenir des crypto-technologies (« limiter les risques » de cette nouvelle économie numérique, notamment « la fraude, les cyberattaques ou les manipulations de marché », à l’égard des consommateurs et investisseurs).

Finalement, le sort de la crypto-finance, et d’ailleurs plus généralement du crypto-commerce, en croissance exponentielle et riche de potentialités à peine encore devinées, est désormais, pour ce qui concerne le territoire de l’Union (dans tous les cas le reste du monde fera bien son affaire sans nous), entre les mains du législateur européen, qui aura à planter son curseur, quelque part, dans la vaste plaine des contraires où s’ébattent à la fois libéralisme, voire libertarisme, et contrôle paternaliste, voire inquisitorial. Du choix qu’il fera dépendra la place conservée à l’audace, à l’innovation et aux changements de paradigmes.

Le juste milieu entre liberté décomplexée et contrainte tatillonne ou bloquante ne sera pas simple à trouver. Il fera des déçus, même si les plus optimistes diront toujours que réguler, c’est en somme valider. Ce qui a sa part de vérité.

Quel cadre pour la crypto-finance européenne ?

Dans sa lettre de mission du 10 septembre 2019, la Présidente de la Commission l’avait déjà annoncé : tirer le meilleur parti des cryptomonnaies tout en parant aux nouveaux risques qu’elles peuvent poser, tel est l’objectif. On imagine sans peine la bataille des idéologies qu’augure une telle feuille de route.

Il n’aura d’ailleurs pas fallu attendre bien longtemps pour que les premières tensions et inquiétudes pointent, et même que les premières indignations et moqueries fusent. Ce mouvement éruptif qui vient d’agiter la cryptosphère en ce début de mois de mars 2022, au gré des quelques déclarations et rumeurs qui ont récemment entouré les travaux relatifs à l’élaboration du Règlement MiCA, est symptomatique de la lutte que se livrent déjà les intérêts contraires en présence.

Nous relaterons brièvement cet épisode dans une prochaine chronique (MiCA #4). Préalablement, nous soulignerons que la Proposition de règlement consacre des notions qui relevaient, jusqu’à il y a peu encore, d’un langage métajuridique (MiCA #2), et préciserons schématiquement les principales thématiques qu’aborde le projet de règlement (MiCA #3).