Semaine d’ébullition au sein de l’UE : imposition des crypto-actifs et règlement MiCA à l’honneur !
4 octobre 2022 : résolution du Parlement européen sur la fiscalité des crypto-actifs
Les députés européens ont adopté le 4 octobre dernier une résolution non contraignante appelant à une meilleure utilisation de la blockchain pour lutter contre l’évasion fiscale et à une coordination des États membres sur la taxation des actifs cryptographiques.
La lutte contre l’évasion fiscale
La résolution précise que les actifs cryptographiques, ou crypto-actifs, doivent être soumis à une fiscalité juste, transparente et efficace, tout en invitant à un traitement fiscal simplifié pour les commerçants occasionnels ou de petite taille, et les petites transactions.
A cette fin, la Commission est appelée à évaluer les manières dont les différents États membres taxent les actifs cryptographiques et à identifier les différentes politiques nationales en matière de lutte contre l’évasion fiscale dans le domaine des crypto-actifs.
Les députés appellent également à une définition claire et largement acceptée des actifs cryptographiques (à ce point de vue, ils devraient être exaucés avec les distinctions opérées par le règlement MiCA).
Une règlementation européenne sur la fiscalité des crypto-actifs en vue
Point important, ils suggèrent de prendre en compte, après évaluation, la conversion d’un crypto-actif en monnaie fiduciaire comme fait générateur de l’imposition (« taxable event »), et soulignent la nécessité de déterminer le lieu de l’événement imposable s’agissant des échanges d’actifs cryptographiques transfrontaliers.
La blockchain pour optimiser l’efficacité fiscale
La résolution identifie la blockchain comme l’un des instruments disponibles pour faciliter une collecte efficace des impôts, dès lors que ses caractéristiques uniques pourraient offrir une nouvelle façon d’automatiser la collecte des impôts, limiter la corruption et assurer une meilleure identification de la propriété des actifs corporels et incorporels permettant de mieux taxer les contribuables mobiles (« mobile taxpayers »).
Les députés invitent également à identifier les meilleures pratiques d’utilisation de la technologie – celle des blockchains en particulier – pour améliorer la capacité d’analyse des administrations fiscales, et appellent la Commission à mieux intégrer l’utilisation de la blockchain dans les différents forums et programmes traitant de la fiscalité.
La blockchain comme instrument fiscal de taxation … des transactions sur la blockchain ?
La blockchain tend à devenir un lieu commun de la politique fiscale, en somme, signe de sa démocratisation, de sa normalisation et de son omniprésence …
5 octobre 2022 : adoption du règlement MiCA par le Conseil européen
Le Comité des représentants permanents du Conseil européen a approuvé, 5 octobre dernier, le texte de compromis final en vue d’un accord définitif des autorités européennes pour l’adoption du règlement MiCA (« Market in Crypto-Assets »).
Cette décision fait suite à l’accord provisoire qui avait été entériné par le Conseil européen et le Parlement européen le 30 juin dernier, sur lequel nous nous étions déjà arrêtés dans notre Breaking News #5.
La balle est donc désormais dans le camp du Parlement européen, qui se prononcera en principe, à travers sa Commission des affaires économiques et monétaires, dès la semaine prochaine.
Dans quelques jours, donc, c’est un texte de plus de 375 pages qui sera définitivement adopté. De quoi effrayer aussi bien l’analyste que l’écosystème.
Le règlement MiCA en passe d’être définitivement adopté
Mais soyons objectifs : il n’est pas si incongru que cela de voir les autorités régulatrices frapper fort d’entrée, compte tenu des inconnues nombreuses qui entourent les crypto-technologies et des krachs-hacks-scandales récents que connaît le marché des crypto-monnaies. On peut d’ores et déjà se rassurer en pariant que lorsque les autorités européennes et nationales auront pris l’entière mesure de ce nouveau marché régulé, des assouplissements, parfois importants, interviendront. Les excès de la réglementation actuelle ne sont finalement qu’à la mesure des interrogations, incertitudes et interrogations qui jalonnent la réflexion actuelle des législateurs.
Quoi qu’il en soit, nous avons jusqu’au début de l’année 2024, date prévue de prise d’effet du règlement MiCA, pour nous pencher sur la portée de cette nouvelle réglementation.
L’emprise progressive de l’Union européenne sur la crypto-économie est actée
Conseil et Parlement européens adoptent un accord provisoire en vue de l’adoption définitive du règlement MiCA !
Cet accord provisoire entériné par le Conseil européen et le Parlement européen le 30 juin dernier s’inscrit dans le cadre du travail législatif qui prolonge la Proposition de règlement « sur les marchés de crypto-actifs » (dit « MiCA » pour « Markets in crypto-assets ») publiée par la Commission européenne le 24 septembre 2020.
Il accompagne l’accord provisoire conclu le 29 juin précédent entre le Conseil et le Parlement relatif à la refonte du règlement « Transfert de fonds » (« TFR »), qui concerne plus spécifiquement la question de la lutte contre blanchiment d’argent et le financement du terrorisme à l’occasion des transferts de crypto-actifs. C’était l’objet de notre Breaking News #4.
Bref rappel au sujet de « MiCA »
Ainsi qu’il a été vu dans notre article « Régulation – Règlement MiCA #1 : l’Europe à l’heure des enjeux de la crypto-finance », les autorités européennes entendent, à travers ce futur règlement, proposer un cadre juridique rassemblant les crypto-actifs non couverts par la législation existante sur les services financiers, les émetteurs de crypto-actifs et les prestataires de services sur crypto-actifs, et conciliant des objectifs partiellement hétérogènes :
• d’un côté, soutenir l’innovation et le développement de la technologie des registres distribués (DLT), assurer la promotion du développement des crypto-actifs, et renforcer le potentiel offert par la finance numérique décentralisée (DeFi) sur le plan de l’innovation et de la concurrence ;
• de l’autre, limiter les risques à l’égard des consommateurs et investisseurs, notamment du fait de la fraude, des cyberattaques, des manipulations de marché ou des atteintes à la stabilité financière ou monétaire que pourrait engendrer cette nouvelle économie numérique.
L’accord provisoire du 30 juin touche à des questions variées. Leur importance pour l’écosystème des crypto-technologies et pour les acteurs de la finance décentralisée invite à les exposer synthétiquement.
Une responsabilité des prestataires de services sur crypto-actifs affirmée
Partant du constat selon lequel les droits actuels des consommateurs sont très limités, notamment s’agissant des recours dont ils disposent, en particulier s’agissant des transactions réalisées en dehors de l’UE, l’accord provisoire précise que les nouvelles règles devront faire peser des exigences de protection fortes sur les prestataires de services sur crypto-actifs (les CASP, pour « crypto asset service providers »).
Ces derniers verront notamment leur responsabilité engagée en cas de perte de crypto-actifs appartenant aux investisseurs. Les prestataires semblent ainsi tenus d’une obligation de résultat qui frise même l’obligation de garantie : celle d’assurer l’intangibilité des actifs du client par devers toute défaillance opérationnelle (fait du prestataire), ainsi que toute opération de piratage et de hackage (fait du tiers). Ce faisant, le Conseil et le Parlement ouvrent très largement la porte aux futurs procès en responsabilité contractuelle.
Les conditions des futures actions en responsabilité sont précisées
Une responsabilité de tout opérateur sur le marché des crypto-actifs facilitée
L’accord provisoire annonce également que le règlement MiCA couvrira les cas d’abus de marché sur n’importe quel type de transaction ou de service, notamment en matière de manipulation de marché et de délit d’initié.
Un moyen de dire que la responsabilité de tout intervenant sur le marché des crypto-actifs pourra être engagée en pareilles circonstances.
Obligations déclaratives et exigences environnementales
L’accord provisoire prévoit que les acteurs du marché des crypto-actifs devront rendre publiques des informations permettant de préciser leur empreinte environnementale et climatique.
Le contenu, les méthodes et la présentation de ces informations seront définies par référence aux normes techniques et réglementaires que l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) élaborera pour tenir compte des principales incidences négatives que les différentes activités des acteurs du secteur peuvent avoir sur l’environnement et le climat.
La fin du suspens : l’absence d’interdiction de la « Proof of Work »
Inutile de rappeler le psychodrame qui avait agité la cryptosphère au cours du dernier trimestre de l’année 2021 et des premiers mois de l’année 2022, alors qu’il semblait que le Parlement européen s’engageait dans la voix de l’interdiction pure et simple des crypto-technologies reposant sur un système de validation par preuve de travail (PoW), condamnant ainsi sans autre forme de procès bitcoin et mineurs à quitter le navire européen.
La commission des affaires économiques et monétaires du Parlement avait heureusement fait retomber la pression à l’occasion du vote d’une résolution, le 14 mars 2022, écartant le principe de l’interdiction. Par ce vote, les parlementaires concernés, revenus à la raison, s’étaient contentés de demander à la Commission européenne de présenter aux députés, avant le 1er janvier 2025, « une proposition législative incluant dans le système de classification « dit taxonomie de l’UE pour les activités durables » toute activité de minage de crypto-actifs contribuant de façon substantielle au changement climatique ».
La prise en compte de critères environnementaux
C’est dans cette même veine que l’accord provisoire du 30 juin prévoit que la Commission européenne devra, dans les deux années à venir, fournir un rapport sur « l’impact environnemental des crypto-actifs et l’introduction de normes minimales de durabilité obligatoires concernant les mécanismes de consensus, notamment la preuve de travail ».
Avec les progrès réalisés ces dernières années sur un plan énergétique par les fermes de minage, la commercialisation et la production de bitcoins devraient avoir de beaux jours devant elles sur le continent de l’UE.
Il faut en tout état de cause reconnaître que l’interdiction pure et simple des protocoles fonctionnant sur la base d’un système de validation par preuve de travail aurait été totalement irraisonnée : outre le fait que de la preuve de travail conservera une utilité indéniable pour les applications qui requièrent une sécurité et une authentification absolues des opérations enregistrées sur la blockchain, des protocoles ingénieux, comme le projet de « Chainweb » de Kadena, sont aujourd’hui capables de proposer des systèmes qui, bien que reposant sur la « PoW », sont dotés d’une très haute scalabilité et se caractérisent, de ce fait, par une consommation énergétique faible. Leur interdiction de principe eût été incompréhensible.
Des stablecoins placés sous étroite surveillance
Conseil et Parlement font expressément référence aux « derniers événements sur les marchés des soi-disant « stablecoins » » pour rappeler les risques encourus par les investisseurs en l’absence de réglementation, tout comme « les impacts potentiels sur les autres crypto-actifs ».
C’est bien évidemment au « Terra » que les autorités européennes font allusion, le stablecoin algorythmique du protocole Luna, désigné sous l’acronyme « UST », à l’occasion de la crise de la deuxième semaine du mois de mai qui a conduit en quelques jours à peine à l’annihilation quasi complète de la valeur de l’un comme de l’autre de ces crypto-actifs, à la suite de la dé-collatéralisation (« de-peg ») du Terra par rapport à sa monnaie de référence, le dollar américain (sur cet épisode marquant pour la cryptosphère, v. par exemple Le Journal du coin). On sait également que le stablecoin algorythmique du protocole Tron, l’USDD, a dans la foulée suscité de réelles inquiétudes alors que des prémices de « de-peg » sont apparues au cours du mois de juin dernier, provoquant une baisse de l’altcoin Tron (TRX) (à ce sujet, v. par exemple cryptonaute.fr).
Des règles et ratios stricts pour les stablecoins
Aux termes de l’accord provisoire, Conseil et Parlement indiquent que le règlement MiCA exigera des émetteurs de stablecoins (qui devront obligatoirement être présents sur le territoire de l’UE), qu’ils constituent une réserve suffisamment liquide, avec un ratio de 1/1 et en partie sous forme de dépôts. Les stablecoins purement algorythmique seront en conséquence prohibés.
Il est également annoncé que les règles qui régiront le fonctionnement des réserves prévoiront également une « liquidité minimale adéquate » afin notamment que chaque détenteur de stablecoins puisse se faire rembourser « à tout moment et gratuitement » par l’émetteur.
L’accord prévoit en outre que tous les « stablecoins » seront supervisés par l’Autorité bancaire européenne (ABE).
Enfin, l’accord annonce la limitation du développement des jetons qui se réfèrent à un ou des actifs (les « asset-referenced tokens » ou « ART ») fondés sur une devise non européenne, utilisés en tant que moyen de paiement, dans le but de préserver la souveraineté monétaire européenne. Les émetteurs de ces jetons devront par ailleurs eux-aussi avoir leur siège au sein de l’UE afin de permettre une surveillance et un suivi appropriés des offres au public des jetons « ART ».
Les NFT exclus de la règlementation « MiCA »
L’accord provisoire précise que les jetons non fongibles (NFT), qui se distinguent des jetons « ART », seront exclus du champ d’application du règlement MiCA.
Présentés comme des « actifs numériques représentant des objets réels tels que des œuvres d’art, de la musique et des vidéos » (alors qu’ils offrent potentiellement bien d’autres figures, comme les tags de produits commerciaux, les droits de titularité de parcelles créées dans des métavers, les jetons issus de la tokenisation de certains biens immobiliers physiques, etc.), certains NFT pourraient néanmoins être soumis à la réglementation MiCA, indiquent le Conseil et le Parlement, dès lors qu’ils entreraient dans les catégories existantes de crypto-actifs (on pense ici aux NFT fractionnables).
La spécificité des NFT reconnue
Enfin, l’accord invite la Commission européenne, dans un délai de 18 mois, à préparer une évaluation complète et, si cela est jugé nécessaire, à évaluer la nécessité de proposer un régime réglementaire spécifique pour les NFT tout en pointant les risques que ce nouveau marché pourrait faire apparaître.
L’activité de prestataire de services sur crypto actifs soumise à autorisation
L’accord provisoire prévoit également que les prestataires de services sur crypto‑actifs (les CASP) auront besoin d’une autorisation pour exercer leurs activités au sein de l’UE. Cette autorisation sera délivrée dans chaque Etat membre par les autorités nationales dans un délai de trois mois à compter d’une demande conforme. En France, l’autorité en cause sera logiquement l’AMF.
L’accord introduit une distinction entre les CASP en visant spécifiquement « les plus grands prestataires de services sur crypto-actifs » (des critères et seuils devront donc être arrêtés pour les isoler des autres prestataires). Les autorités nationales, est-il indiqué, auront à transmettre régulièrement des informations pertinentes à l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) à leur sujet.
Un accord provisoire doté d’une simple valeur indicative
A ce stade, l’accord provisoire ne dispose d’aucune valeur normative. Il constitue en revanche une feuille de route claire qui alimentera le travail des instances européennes sur les aspects techniques et les dernières orientations du futur règlement, lequel devra in fine être soumis au vote du Parlement en séance plénière.
Bilan
Cet accord provisoire est plutôt encourageant. Il semble relativement équilibré alors que la période troublée que traverse actuellement l’écosystème des crypto-actifs aurait pu servir de prétexte aux autorités européennes pour durcir le ton. L’objectif reste le même : « soutenir l’innovation et l’adoption de nouvelles technologies financières tout en assurant un niveau approprié de protection des consommateurs et des investisseurs ». Or, le niveau de protection en question ne paraît avoir été monté d’un cran par rapport à l’étiage fixé par la Proposition de règlement du 24 septembre 2020.
Ainsi, l’interdiction des protocoles fondés sur la preuve de travail (PoW) n’est plus à l’ordre du jour. Le commerce et le minage de bitcoins pourront donc avoir lieu sur le territoire de l’Union européenne. La spécificité des NFT, qui est indéniable, est pour sa part reconnue et traitée comme telle.
Le compte à rebours est lancé en vue de l’adoption définitive du règlement MiCA
Encore faut-il demeurer prudent, car l’accord reste évasif et même muet sur certaines questions fondamentales. La DeFi et ses divers protocoles (lending, stacking, pools de liquidités, etc.) ne sont pour leur part pas évoqués dans le communiqué de presse du Conseil européen du 30 juin, ce qui semble confirmer l’idée initiale selon laquelle la finance décentralisée est placée hors du périmètre du règlement MiCA … qui a toutefois spécifiquement pour objet la « finance numérique ». L’ambiguïté des termes impressionne. Des clarifications devront être faites (v. par exemple l’analyse de l’accord publiée sur bitcoin.fr). On peut en toute hypothèse aisément imaginer qu’une réglementation ad’hoc portant sur la DeFI émergera, au plan européen ou au plan national.
En outre, le climat économique général, le cycle baissier actuel des crypto-monnaies, l’importance des moins-values enregistrées par de très nombreux investisseurs, les avatars et « scandales » qui ont émaillé le monde de la crypto-économie ces dernières semaines (Terra, Celsius, 3 Arrows Capital, BlockFi, etc.) peuvent toujours inviter les autorités européennes à réviser leurs lignes directrices. Le chemin est encore long jusqu’à la version définitive du règlement MiCA. Aussi l’écosystème des crypto-actifs a-t-il tout intérêt à se faire discret au cours des prochains mois et à se montrer en toutes circonstances sous son meilleur jour.
En vue de la refonte du règlement « TFR », Conseil et Parlement européens adoptent un accord provisoire relatif aux transferts de crypto-actifs dans l’UE !
Cet accord entériné par le Conseil européen et le Parlement européen le 29 juin dernier fait suite à la résolution votée le 31 mars 2022 par les députés composant la commission des affaires économiques et monétaires et la commission des libertés civiles et de la justice du Parlement, sur laquelle nous nous étions arrêtés dans notre Breaking News #1.
Cette résolution, rappelons-le, avait pour objectif de poser le principe d’un élargissement et d’une adaptation aux transferts de crypto-actifs des règles européennes relatives aux transferts de fonds. La volonté alors affichée à travers cette refonte annoncée de la réglementation était d’étendre à ces transferts de crypto-actifs un dispositif renforcé de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, et de stopper les flux illicites que ces transferts rendent possibles dans l’UE.
Le marché des crypto-actifs, royaume de la criminalité selon les autorités européennes
L’accord du 29 juin confirme la feuille de route du 31 mars : rendre plus difficile l’utilisation des crypto-actifs à des fins criminelles en imposant la transparence de leurs transferts. Différentes solutions techniques sont préconisées à cette fin par le Conseil et le Parlement.
Assurer la transparence des transferts de crypto-actifs
L’objectif de la future réglementation européenne, qui passera par la refonte du règlement UE 2015/847 sur les transferts de fonds, dit « TFR » pour « Transfer of Funds Regulation », est d’imposer aux prestataires de services sur crypto‑actifs (les CASP, pour « crypto asset service providers ») l’obligation de recueillir et de rendre accessibles certaines données relatives aux donneurs d’ordre pour lesquels ils interviennentet aux bénéficiaires des transferts de crypto‑actifs, à l’instar de ce qui est aujourd’hui imposé aux prestataires de services de paiement pour les virements électroniques. Cette obligation n’est pas moins destinée qu’à permettre de bloquer les transactions identifiées comme suspectes.
La fin programmée de l’anonymat des cryptophiles sur le continent de l’UE
En pratique, les prestataires devront vérifier, préalablement à la libération des crypto-actifs au profit des bénéficiaires, que la source de l’actif n’est pas sujette à des mesures restrictives ou à des sanctions, et qu’il n’existe pas de risque de blanchiment d’argent ou de financement du terrorisme.
L’extension de la « règle du voyage »
L’accord conclu entre les deux co-législateurs européens requiert notamment que l’ensemble des informations relatives aux initiateurs de l’opération réalisée via le prestataire de services « voyagent » avec le transfert de crypto‑actifs, et ce quel que soit le montant des crypto‑actifs faisant l’objet de la transaction, même si des règles particulières sont proposées pour les transferts de crypto‑actifs réalisés entre les prestataires et les portefeuilles non hébergés.
Il vise ainsi à étendre aux transferts de crypto-actifs la « règle du voyage » (ou « travel rule ») que l’on connaît déjà dans la finance traditionnelle. Selon cette règle, les informations sur la source de l’actif en cause et les bénéficiaires du transfert doivent accompagner la transaction, donc « voyager » avec elle, et être stockées aux deux extrémités du transfert. Schématiquement, ces informations sont le nom, l’adresse physique, la date de naissance, le numéro de compte et l’adresse du portefeuille du client donneur d’ordre, ainsi que le nom du destinataire.
La « règle du voyage » ou le transfert de nos données personnelles
Aussi, outre le fait qu’ils devront s’assurer que le transfert de crypto-actifs sera accompagné d’un identifiant unique de transaction, les prestataires de services sur crypto-actifs devront fournir ces renseignements à la demande des autorités compétentes dans le cadre des enquêtes menées pour blanchiment d’argent et financement du terrorisme.
Une limite heureuse est néanmoins posée, puisque le dispositif ne s’appliquera pas aux transferts de crypto-actifs « entre particuliers effectués sans l’intervention d’un prestataire », comme des plateformes d’échange de bitcoins est-il indiqué, ou « entre prestataires agissant de leur propre initiative ».
Et une garantie proclamée, puisqu’il est prévu que le « voyage » des informations n’aura pas lieu lorsque les données personnelles en cause ne se trouvent pas protégées au bout de la chaîne (ce qui vise principalement l’hypothèse dans laquelle les règles relatives au RGPD ne s’appliquent pas).
Une traçabilité du transfert dès le 1er euro pour les portefeuilles hébergés
Au motif avancé que les transactions de crypto-actifs pourraient facilement permettre de contourner les seuils existants permettant de déclencher les exigences de traçabilité, l’accord pose le principe de l’absence de seuil minimum. Aucune exception, donc, pour les transferts de faible montant, contrairement à ce qui avait été un temps envisagé avec sagesse. Le futur droit de l’Union entend donc interdire tout portefeuille hébergé anonyme !
Les portefeuilles hébergés et non hébergés sont soumis à un régime bien proche
Une exception plafonnée à 1.000 euros pour les portefeuilles non hébergés
Une dérogation presque symbolique est prévue pour les transferts de crypto‑actifs à partir ou à destination de portefeuilles non hébergés (les fameux « unhosted wallets », de type « cold wallets » notamment). Ce ne sera en effet que pour les montants supérieurs à 1.000 euros que les obligations précitées s’imposeront aux prestataires de services sur crypto-actifs.
Le registre privé des prestataires
Chaque prestataire de services devra tenir un registre répertoriant tous les transferts de crypto-actifs réalisés à partir de portefeuilles non hébergés, et notifier à l’autorité compétente tout client ayant reçu un montant de 1.000 euros ou plus à partir d’un tel portefeuille.
Un registre public pour les « mauvais élèves »
L’accord prévoit encore que l’Autorité bancaire européenne (ABE) devra tenir un registre public des prestataires de services de crypto-actifs non conformes. Sont visés les prestataires qui ne peuvent être liés à aucune juridiction reconnue, qui n’appliquent aucune mesure d’identification de leurs clients ou qui offrent des services d’anonymisation. Le but est de faciliter l’identification des acteurs illicites qui présentent un risque élevé du point de vue de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
C’est le futur règlement « MiCa » qui devrait fixer le principe et les modalités de création de ce registre.
Quid du champ d’application du futur dispositif ?
Il est prévu que le règlement s’appliquera aux transferts de fonds, quelle que soit la devise, ou au transfert de crypto-actifs, qui sont envoyés ou reçus par un prestataire de services de paiement, un prestataire de transferts de crypto-actifs ou un prestataire de services de paiement intermédiaire établi sur le territoire de l’Union.
Quid de la valeur normative de l’accord provisoire ?
A ce stade, il n’en a évidemment aucune. Il est désormais prévu que le Parlement, le Conseil et la Commission travaillent sur les aspects techniques du projet de texte. L’entrée en vigueur du texte final est subordonnée d’abord à son approbation par les commissions du Parlement en charge de ces sujets (à savoir la commission des affaires économiques monétaires, d’une part, et la commission des libertés civiles et de la justice, d’autre part), et ensuite à son adoption en séance plénière par le Parlement européen.
En complément
Le Conseil et le Parlement, convenant de l’urgence qu’il y a à assurer la traçabilité des transferts de crypto‑actifs, ont décidé d’aligner le calendrier d’application du futur règlement « TFR » sur le calendrier du règlement « MiCa ».
Pour davantage de précisions sur le contenu de l’accord adopté par les deux co-législateurs européens le 29 juin dernier, on consultera utilement la fiche de procédure correspondante éditée par le Parlement.
Bilan
Il se confirme à travers les termes de cet accord provisoire que les autorités européennes se situent davantage dans la défiance à l’égard des crypto-actifs et de leurs opérateurs que dans l’accompagnement raisonné de ce secteur émergeant, dynamique et prometteur, préférant un « sécuritarisme » à outrance à une vigilance raisonnée. Le co-rapporteur espagnol du Parlement n’écrit-il d’ailleurs pas que l’accord « introduit une « règle du voyage » pour les transferts de crypto-actifs parmi les plus ambitieuses au monde » ?! Le reste du monde s’en félicitera assurément.
Il est vrai que les périodes de « bear market » de ces derniers mois, doublées par les krachs et autres scandales très récents (Terra, Celsius, 3 Arrows Capital, BlockFi, etc.), ternissent l’image du secteur. Rien d’extraordinaire, toutefois, s’agissant d’un marché naissant, qui de surcroît s’auto-corrige rapidement de manière saine et vertueuse.
L’Europe accélère le tempo en vue de verrouiller le marché des crypto-actifs
Toujours est-il qu’à ce stade, on ne peut que craindre que face aux sévères entraves posées par les autorités européennes, la crypto-économie et l’écosystème qui l’entoure trouvent leur plein essor ailleurs qu’en Europe. Pour le plus grand bonheur des Etats-Unis notamment. Logiquement, la critique est communément partagée (v. par ex. bitcoin.fr ou cryptoast.fr).
Le Parlement européen adopte une résolution visant à tracer et identifier les transferts de crypto-actifs dans l’UE !
Alors que les esprits se sont à peine calmés à la suite d’une résolution votée au Parlement européen le 14 mars 2022, qui évacue provisoirement le risque d’une interdiction des crypto-technologies reposant sur un système de validation par preuve de travail (PoW), voilà qu’un vote des députés de la commission des affaires économiques et monétaires et de la commission des libertés civiles du Parlement européen en date du 31 mars 2022 alimente un nouveau psychodrame dans la cryptosphère.
Cette résolution définit la feuille de route que le Parlement européen devrait suivre dans le cadre du projet de loi visant à renforcer les règles de l’Union européenne contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
Les préconisations des députés partent d’un constat : à ce jour, il n’existe pas, au sein de l’UE, de règles permettant de tracer les transferts de crypto-actifs ou de fournir des informations sur leurs initiateurs et leurs bénéficiaires.
L’ambition affichée est dès lors limpide : il s’agit d’élargir et d’adapter aux transferts de crypto-actifs les règles actuelles qui permettent de stopper les flux illicites dans l’UE.
Naturellement, l’objectif d’éviter le blanchiment de capitaux et autres crimes, parmi lesquels le financement du terrorisme, est louable. Qui pourrait en disconvenir ?
Suspicion de piraterie dans la cryptosphère européenne ?
Il n’en demeure pas moins que les solutions retenues sont particulièrement sèches ! Et bien évidemment anxiogènes pour la communauté de la crypto-économie, habituée à évoluer dans un univers dérégulé au sein duquel règne un anonymat synonyme de garantie du respect de la vie privée, ainsi qu’une sécurité innée qui s’infère de ces modes inédits de consensus de validation et de certification à l’œuvre sur les différentes blockchains.
Les membres des deux commissions précitées du Parlement européen, donc, préconisent que les transferts de crypto-actifs soient tracés et identifiés : aussi les transferts devront-ils être accompagnés de renseignements concernant les sources et les bénéficiaires, et ce même s’agissant des « portefeuilles non hébergés», définis comme une « adresse de portefeuille de crypto-actifs sous la propriété d’un utilisateur privé ». Les « cold wallets » semblent donc ciblées. On pense naturellement à l’extension MetaMask, à la clé physique Ledger, etc. A cette fin, nous dit-on, des solutions technologiques devront être mobilisées afin de permettre d’identifier individuellement les transferts de crypto-actifs.
Et ce sans seuil minimum, les règles devant s’appliquer même pour les transferts d’un faible montant !
Les crypto-actifs sont donc à ce stade assimilés à de la vulgaire monnaie fiduciaire, à de simples espèces, dont on sait que les transferts sont très surveillés. Et on entend les soumettre à un régime plus strict encore, ce que leur nature numérique rend possible, puisque les seuils et exemptions existant pour les transferts classiques d’argent ont vocation à être supprimés à leur égard. Bigre ! De minimis curat legislator !
Heureusement, une exception est prévue, dont il conviendra encore d’apprécier la juste portée : « les transferts de crypto-actifs de personne à personne effectués sans prestataire, comme les plateformes d’échange de bitcoin, ou entre prestataires agissant pour leur propre compte », indique-t-on, sont censés échapper à cette exigence de transparence et de traçabilité.
Quoi qu’il en soit, dans l’optique d’éviter le blanchiment de capitaux et autres crimes, il est envisagé qu’un « registre public des entités à haut risque de blanchiment de capitaux, de financement de terrorisme et d’autres activités criminelles » soit créé par l’Autorité bancaire européenne (ABE). Ce registre est appelé à contenir une liste non exhaustive de prestataires non conformes.
Les prestataires opérant sur le territoire de l’UE ne pourraient dès lors pas finaliser la moindre transaction – et donc rendre les crypto-actifs disponibles pour les bénéficiaires – sans avoir au préalable vérifié si la source dont émanent ces actifs n’est pas sujette à des mesures restrictives, ou s’il n’existe pas de risque de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme.
Clairement, donc, les conditions d’un « flicage » en règle sont en gestation. Le niveau le plus haut de contrôle semble être retenu. Au point que l’anonymat, qui est de l’essence de l’écosystème des crypto-technologies, n’est aujourd’hui plus qu’un malheureux sursitaire.
La fin de l’anonymat sur le marché européen de la crypto ?
On ne s’étonnera donc pas de voir qu’aussitôt publiée, la résolution a attiré sur elle les foudres de ceux qui craignent qu’à force de réglementation, l’Union européenne ne ruine ses chances d’être à la pointe de cet environnement technologique novateur et tellement prometteur. Pour le plus grand bonheur de ses concurrents, évidemment, Etats-Unis en tête, qui ne se priveront pas de caler leurs propres réglementations un cran au-dessous des réglementations européennes afin de maximiser leur attractivité en ce domaine.
Le député Pierre Person, en pointe sur ces questions, n’a pas manqué de réagir dans des termes soutenus. Il fait observer en substance que :
1° Le texte « nuira aux intérêts économiques et aux libertés individuelles des européens » ;
2° Le vote s’est fait au prix d’un « manque flagrant de transparence », « sans consultation des experts et acteurs concernés » et moyennant une « précipitation déraisonnable » ;
3° Le texte repose par erreur sur « une présomption de culpabilité à l’égard des détenteurs des crypto-actifs, considérés comme vecteur de blanchiment d’argent et destinés aux criminels en tout genre » ;
4° Le « tout-KYC » sans tempérance « est une hérésie pour un secteur qui est totalement transparent par essence », et « conduira de facto à supprimer le pseudonymat des adresses publiques qui garantit le respect de la vie privée des utilisateurs » ;
5° La réglementation proposée est de nature à tuer plusieurs de nos licornes françaises et produira une « rupture de concurrence entre les acteurs américains et les entreprises européennes » ;
6° Compte tenu de leur nature décentralisée, les crypto-actifs ne doivent pas se voir appliquer une réglementation pensée pour le secteur bancaire.
A ce stade, il est bien difficile de ne pas être d’accord.
Prudence européenne est mère d’insuccès
Il ne reste dès lors plus à la « communauté des cryptos » qu’à espérer que les instances européennes ne perdent pas de vue que le sens de la mesure est une qualité, sinon une vertu …
L’Europe à l’heure des enjeux de la crypto-finance
Le 24 septembre 2020, la Commission européenne rend publique une Proposition de règlement « sur les marchés de crypto-actifs », règlement que les spécialistes connaissent sous le doux nom de « MiCA », pour « Markets in crypto-assets ». Elle suit de quelques jours le dépôt d’un rapport contenant des recommandations faites à la Commission sur les questions de la « finance numérique » et, en particulier, des « risques émergents liés aux crypto-actifs », rapport qui conduira à l’adoption d’une résolution par le Parlement européen le 8 octobre 2020.
L’Europe à l’heure des cryptomonnaies
Les instances européennes souhaitent à l’évidence ne pas passer à côté de cette nouvelle économie numérique, tant le greffon est déjà devenu une jeune et fringante sapinière. Il s’agit d’éviter d’effectuer un tout-droit à l’heure où le virage de la finance numérique et du web 3.0 approche à grande vitesse.
En 2020, donc, les décideurs européens ne se laissent pas détourner de leur objectif par la pandémie qui occupe tous les esprits. Et l’objectif est le suivant : « adapter l’Europe à l’ère du numérique ». Mais pas seulement. Car il faut que l’Europe « embrasse la révolution numérique et en devienne le fer de lance avec l’aide de sociétés européennes innovantes ». Les ambitions affichées ne sont pas minces.
Sont-elles précoces ? Sont-elles tardives ? Pour s’en faire une idée, il peut être utile de replacer le moment particulier de cette initiative européenne dans l’histoire – inévitablement récente – des cryptomonnaies (D. Ichbiah et J.-M. Lefranc retracent avec simplicité les principales étapes de cette genèse, in Bitcoin et cryptomonnaies pour les nuls, 2e éd., First, 2021, passim).
Les grandes étapes de la crypto
En septembre 2020, nous sommes douze ans après les premiers travaux de l’énigmatique Satoshi Nakamoto visant à créer ex-nihilo un nouveau système d’échange de monnaie (le 31 octobre 2008), et moins de onze ans et demi après la publication de son « white paper » qui le théorise et en fixe le cadre, et la publication des 30.000 premières lignes de codes qui marquent les conditions du début de la production de bitcoins (le 3 janvier 2009). Un peu plus de onze ans, donc, après les premières opérations de minage d’une cryptomonnaie et l’activation de la première blockchain.
Dix ans et demi après le tout premier achat réalisé en bitcoin par Laszlo Hanyecz (le 22 mai 2010) auprès d’un téméraire pizzaiolo : deux pizzas livrées à domicile – dont la valeur globale a été conventionnellement fixée par les parties à 25$ – au prix de 10.000 bitcoins (ce qui au passage mettrait chacune des deux pizzas, au cours actuel du bitcoin, au modeste prix de 210 millions de dollars). Dix ans et demi, donc, après le premier cours connu du bitcoin (0,0025$) et, plus fondamentalement pour nous juristes, après la toute première emptio-venditio de la crypto-ère !
Dix ans et demi après la création de la première plateforme d’échange de cryptomonnaie (en l’occurrence de bitcoins, seule cryptomonnaie alors existante) : l’ « exchange » Bitcoinmarket.com (le 17 mars 2010), immédiatement suivi de Mt. Gox (mi-2010). Et neuf ans et demi après ce moment surréaliste où le bitcoin, parti de nulle part, a atteint la parité avec la monnaie « réelle » de référence, le dollar (le 9 février 2011).
En septembre 2020, nous sommes huit ans après le lancement de Coinbase (en 2012), l’exchange de référence qui suivra le crash de Mt. Gox, et de cette autre plateforme d’exchange, Kraken, l’un et l’autre précurseurs des actuelles places de marché d’un genre totalement nouveau, puisque reposant sur du trading de jetons de cryptomonnaies et non plus d’actions de sociétés.
Six ans et demi après la première ICO (« Initial Coin Offering ») mise en œuvre pour le lancement du protocole Ethereum de Vitalik Buterin (en janvier 2014), et cinq ans avant la mise en vente des premiers Ether (le 30 juillet 2015) et l’exécution des premiers « smart contacts » sur cette blockchain.
Nous sommes six ans avant la création du premier « stablecoin » par la société Tether (en 2014) : l’USDT.
Cinq ans et demi avant que Coinbase devienne la première plateforme d’exchange dotée de toutes les autorisations légales pour opérer aux Etats-Unis (le 26 janvier 2015).
Trois ans avant la création de Binance (en juillet 2017), plateforme d’exchange qui deviendra la première d’entre toutes, en termes de capitalisation, dès le mois d’avril 2018 (entre 10 et 15 milliards d’euros de transactions y sont aujourd’hui réalisés quotidiennement).
A la date de la publication de la Proposition de règlement, le 24 septembre 2020 donc, il existe plus de 4.000 cryptomonnaies – altcoins et tokens (elles sont environ 4.500 aujourd’hui). La capitalisation boursière mondiale des cryptomonnaies tourne alors autour des 400 milliards de dollars.
A cette même date, nous sommes quatre mois avant l’introduction de Coinbase au Nasdaq (en janvier 2021), et quatorze mois avant le cours record du bitcoin à plus de 68.000$ (le 9 novembre 2021) et le passage de la barre des 3.000 milliards de dollars de capitalisation mondiale (actuellement, la capitalisation avoisine les 2.000 milliards).
En route pour la régulation
Au mois de septembre 2020, donc, les décideurs européens expriment distinctement la volonté de positionner l’Europe comme acteur majeur de cette nouvelle économie. Ils entendent se prémunir contre tout futur procès en attentisme ou en négligence. L’Europe n’a pas su prendre le train de l’internet natif et du web 2.0 ? Qu’à cela ne tienne ! Il ne sera pas dit qu’elle aura également manqué celui de la révolution de la finance numérique et du web 3.0 !
Les déclarations de principes sont enflammées, puisqu’au titre des objectifs de la Proposition figure la nécessité affichée que « le cadre réglementaire de l’Union applicable aux services financiers soit propice à l’innovation et n’entrave pas l’utilisation de nouvelles technologies ». L’Europe se montre consciente de la spécificité du sous-jacent technologique novateur sur lequel reposent les crypto-actifs, et plus généralement la finance décentralisée (DeFi), à savoir la technologie des registres distribués (DLT).
Au final, quatre objectifs – liés entre eux nous dit-on – sont dégagés par la Proposition : 1° assurer la sécurité juridique, par la mise en place d’un cadre juridique solide applicable aux crypto-actifs non couverts par la législation existante sur les services financiers ; 2° soutenir l’innovation, nécessaire à la promotion du développement des crypto-actifs et élargir l’utilisation de la DLT ; 3° dégager les niveaux appropriés de protection des consommateurs et des investisseurs, et assurer l’intégrité du marché contre les risques attachés aux crypto-actifs non couverts par l’actuelle législation sur les services financiers ; 4° garantir la stabilité financière face à la montée en puissance des stablecoins.
Liberté technologique vs contrainte étatique
Mais le plus important à retenir, pourrait-on dire, c’est que la Proposition préconise que « la législation existante ne fasse pas obstacle à l’adoption de nouvelles technologies ». La formule est certes rassurante, mais ne lève pas les incertitudes, bien au contraire.
Car réglementation, régulation, sécurité juridique, maîtrise des risques ne peuvent pleinement laisser libre cours aux innovations. Où l’on voit que le projet de texte européen contient en son sein une contradiction profonde entre des termes largement inconciliables dont il ne parvient pas à s’affranchir, puisqu’à l’objectif (« libérer et renforcer encore davantage le potentiel que la finance numérique peut offrir sur le plan de l’innovation et de la concurrence ») sont immédiatement accolées une limite et une contrainte, pour ne pas dire une menace sur l’avenir des crypto-technologies (« limiter les risques » de cette nouvelle économie numérique, notamment « la fraude, les cyberattaques ou les manipulations de marché », à l’égard des consommateurs et investisseurs).
Finalement, le sort de la crypto-finance, et d’ailleurs plus généralement du crypto-commerce, en croissance exponentielle et riche de potentialités à peine encore devinées, est désormais, pour ce qui concerne le territoire de l’Union (dans tous les cas le reste du monde fera bien son affaire sans nous), entre les mains du législateur européen, qui aura à planter son curseur, quelque part, dans la vaste plaine des contraires où s’ébattent à la fois libéralisme, voire libertarisme, et contrôle paternaliste, voire inquisitorial. Du choix qu’il fera dépendra la place conservée à l’audace, à l’innovation et aux changements de paradigmes.
Le juste milieu entre liberté décomplexée et contrainte tatillonne ou bloquante ne sera pas simple à trouver. Il fera des déçus, même si les plus optimistes diront toujours que réguler, c’est en somme valider. Ce qui a sa part de vérité.
Quel cadre pour la crypto-finance européenne ?
Dans sa lettre de mission du 10 septembre 2019, la Présidente de la Commission l’avait déjà annoncé : tirer le meilleur parti des cryptomonnaies tout en parant aux nouveaux risques qu’elles peuvent poser, tel est l’objectif. On imagine sans peine la bataille des idéologies qu’augure une telle feuille de route.
Il n’aura d’ailleurs pas fallu attendre bien longtemps pour que les premières tensions et inquiétudes pointent, et même que les premières indignations et moqueries fusent. Ce mouvement éruptif qui vient d’agiter la cryptosphère en ce début de mois de mars 2022, au gré des quelques déclarations et rumeurs qui ont récemment entouré les travaux relatifs à l’élaboration du Règlement MiCA, est symptomatique de la lutte que se livrent déjà les intérêts contraires en présence.
Nous relaterons brièvement cet épisode dans une prochaine chronique (MiCA #4). Préalablement, nous soulignerons que la Proposition de règlement consacre des notions qui relevaient, jusqu’à il y a peu encore, d’un langage métajuridique (MiCA #2), et préciserons schématiquement les principales thématiques qu’aborde le projet de règlement (MiCA #3).