Le Parlement européen adopte une résolution visant à tracer et identifier les transferts de crypto-actifs dans l’UE !

Alors que les esprits se sont à peine calmés à la suite d’une résolution votée au Parlement européen le 14 mars 2022, qui évacue provisoirement le risque d’une interdiction des crypto-technologies reposant sur un système de validation par preuve de travail (PoW), voilà qu’un vote des députés de la commission des affaires économiques et monétaires et de la commission des libertés civiles du Parlement européen en date du 31 mars 2022 alimente un nouveau psychodrame dans la cryptosphère.
Cette résolution définit la feuille de route que le Parlement européen devrait suivre dans le cadre du projet de loi visant à renforcer les règles de l’Union européenne contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
Les préconisations des députés partent d’un constat : à ce jour, il n’existe pas, au sein de l’UE, de règles permettant de tracer les transferts de crypto-actifs ou de fournir des informations sur leurs initiateurs et leurs bénéficiaires.
L’ambition affichée est dès lors limpide : il s’agit d’élargir et d’adapter aux transferts de crypto-actifs les règles actuelles qui permettent de stopper les flux illicites dans l’UE.
Naturellement, l’objectif d’éviter le blanchiment de capitaux et autres crimes, parmi lesquels le financement du terrorisme, est louable. Qui pourrait en disconvenir ?

Il n’en demeure pas moins que les solutions retenues sont particulièrement sèches ! Et bien évidemment anxiogènes pour la communauté de la crypto-économie, habituée à évoluer dans un univers dérégulé au sein duquel règne un anonymat synonyme de garantie du respect de la vie privée, ainsi qu’une sécurité innée qui s’infère de ces modes inédits de consensus de validation et de certification à l’œuvre sur les différentes blockchains.
Les membres des deux commissions précitées du Parlement européen, donc, préconisent que les transferts de crypto-actifs soient tracés et identifiés : aussi les transferts devront-ils être accompagnés de renseignements concernant les sources et les bénéficiaires, et ce même s’agissant des « portefeuilles non hébergés », définis comme une « adresse de portefeuille de crypto-actifs sous la propriété d’un utilisateur privé ». Les « cold wallets » semblent donc ciblées. On pense naturellement à l’extension MetaMask, à la clé physique Ledger, etc. A cette fin, nous dit-on, des solutions technologiques devront être mobilisées afin de permettre d’identifier individuellement les transferts de crypto-actifs.
Et ce sans seuil minimum, les règles devant s’appliquer même pour les transferts d’un faible montant !
Les crypto-actifs sont donc à ce stade assimilés à de la vulgaire monnaie fiduciaire, à de simples espèces, dont on sait que les transferts sont très surveillés. Et on entend les soumettre à un régime plus strict encore, ce que leur nature numérique rend possible, puisque les seuils et exemptions existant pour les transferts classiques d’argent ont vocation à être supprimés à leur égard. Bigre ! De minimis curat legislator !
Heureusement, une exception est prévue, dont il conviendra encore d’apprécier la juste portée : « les transferts de crypto-actifs de personne à personne effectués sans prestataire, comme les plateformes d’échange de bitcoin, ou entre prestataires agissant pour leur propre compte », indique-t-on, sont censés échapper à cette exigence de transparence et de traçabilité.
Quoi qu’il en soit, dans l’optique d’éviter le blanchiment de capitaux et autres crimes, il est envisagé qu’un « registre public des entités à haut risque de blanchiment de capitaux, de financement de terrorisme et d’autres activités criminelles » soit créé par l’Autorité bancaire européenne (ABE). Ce registre est appelé à contenir une liste non exhaustive de prestataires non conformes.
Les prestataires opérant sur le territoire de l’UE ne pourraient dès lors pas finaliser la moindre transaction – et donc rendre les crypto-actifs disponibles pour les bénéficiaires – sans avoir au préalable vérifié si la source dont émanent ces actifs n’est pas sujette à des mesures restrictives, ou s’il n’existe pas de risque de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme.
Clairement, donc, les conditions d’un « flicage » en règle sont en gestation. Le niveau le plus haut de contrôle semble être retenu. Au point que l’anonymat, qui est de l’essence de l’écosystème des crypto-technologies, n’est aujourd’hui plus qu’un malheureux sursitaire.

On ne s’étonnera donc pas de voir qu’aussitôt publiée, la résolution a attiré sur elle les foudres de ceux qui craignent qu’à force de réglementation, l’Union européenne ne ruine ses chances d’être à la pointe de cet environnement technologique novateur et tellement prometteur. Pour le plus grand bonheur de ses concurrents, évidemment, Etats-Unis en tête, qui ne se priveront pas de caler leurs propres réglementations un cran au-dessous des réglementations européennes afin de maximiser leur attractivité en ce domaine.
Le député Pierre Person, en pointe sur ces questions, n’a pas manqué de réagir dans des termes soutenus. Il fait observer en substance que :
1° Le texte « nuira aux intérêts économiques et aux libertés individuelles des européens » ;
2° Le vote s’est fait au prix d’un « manque flagrant de transparence », « sans consultation des experts et acteurs concernés » et moyennant une « précipitation déraisonnable » ;
3° Le texte repose par erreur sur « une présomption de culpabilité à l’égard des détenteurs des crypto-actifs, considérés comme vecteur de blanchiment d’argent et destinés aux criminels en tout genre » ;
4° Le « tout-KYC » sans tempérance « est une hérésie pour un secteur qui est totalement transparent par essence », et « conduira de facto à supprimer le pseudonymat des adresses publiques qui garantit le respect de la vie privée des utilisateurs » ;
5° La réglementation proposée est de nature à tuer plusieurs de nos licornes françaises et produira une « rupture de concurrence entre les acteurs américains et les entreprises européennes » ;
6° Compte tenu de leur nature décentralisée, les crypto-actifs ne doivent pas se voir appliquer une réglementation pensée pour le secteur bancaire.
A ce stade, il est bien difficile de ne pas être d’accord.

Il ne reste dès lors plus à la « communauté des cryptos » qu’à espérer que les instances européennes ne perdent pas de vue que le sens de la mesure est une qualité, sinon une vertu …
Une réflexion sur « BREAKING NEWS #1 »